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Projets Sillex : un entretien avec Isabelle Bauthian

Par Gillossen, le lundi 22 octobre 2018 à 12:00:00

FaceNous avions mentionné cette initiative dans l'un de nos tours d'horizon de l'actualité, mais il nous semblait intéressant d'y revenir plus en profondeur.
Projets Sillex, c'est une maison d'édition dédiée aux littératures de l'imaginaire (science-fiction, fantasy, fantastique et leurs dérivés) au programme ambitieux et au modus operandi peu commun. Une de plus, serait-on tenté de penser, mais pour son premier ouvrage, on retrouve Isabelle Bauthian (prix Elbakin.net 2018 avec Grish-Mère), avec l'objectif de publier un roman inédit, Face au dragon.
L'occasion d'en profiter pour lui poser quelques questions au sujet de ce projet, de la question brûlante de la rémunération des auteurs, ou bien, oui, tout de même, de son prix !

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Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.

Nos questions

Souvent, les opérations de financement participatif concernent des auteurs très connus (on pense bien sûr à Lovecraft…) ou des thématiques très larges (anthologies, dictionnaires, etc.). Qu’est-ce qui vous a intéressé ou séduit dans cette voie, pour un roman ?
Sincèrement, l’aspect financement participatif est plutôt celui qui m’a fait hésiter. J’ai bien conscience que, derrière la plupart des success-stories régulièrement médiatisées comme des panacées, se cachent des personnes très populaires, pourvues d’un réseau qu’elles ont mis des années à se constituer, avec tout ce que cela représente en termes de bénévolat (ce qui, on ne le rappelle pas assez, relativise énormément leur succès financier.) Mais le projet de Sillex m'interpellait et, dans le contexte du mouvement #PayeTonAuteur, avec le soutien des lecteurs, je me suis dit que ça se tentait.
Et question en relation directe avec la précédente, pourquoi Sillex spécifiquement, notamment par rapport à l’auto-édition (ou à un éditeur comme ActuSF, disons) ?
Face au Dragon est un livre à cheval entre le « young adult » et la fantasy classique. Les héros sont jeunes, avec pour certains des questionnements liés à l’adolescence, mais la narration joue plus sur l’introspection immersive que l’efficacité immédiate. J’ai envoyé le manuscrit à plusieurs éditeurs traditionnels qui m’ont fait des retours positifs mais ne désiraient le publier qu’à condition que j’y apporte des caractéristiques plus ouvertement « jeunesse ». C’était très compliqué sans lui faire perdre sa substance.
J’aurais pu me tourner vers l’autoédition, mais la perspective d’assumer les deux casquettes, sans parler des investissements financiers sur une couverture, un travail de correction… ne m’enchantait pas. Lorsque Nicolas Marti (le patron de Sillex), m’a parlé de son projet, j’ai jugé que c’était un excellent compromis, et une démarche que j’avais envie de soutenir. 30% du prix reversé à l’auteur, mine de rien, c’est entre deux et dix fois plus que ce qu’on peut attendre en édition traditionnelle. Et, surtout, à partir d’un certain nombre d’exemplaires vendus, c’est beaucoup plus représentatif du rapport temps de travail/risques financiers engagés par les différentes parties. Je ne suis pas naïve : j’essuie les plâtres et je me doute que Face au Dragon ne sera pas un best-seller. Mais, en cas de succès futur, rien ne s’oppose à une seconde campagne de précommandes. Par ailleurs, Nicolas a fait un travail éditorial formidable, qui a fini de me convaincre. Projets Sillex est une maison qui ne craint pas de faire bouger les lignes en s’intéressant notamment à des récits « entre les genres ». Je trouve ça très respectable.
Les réseaux en circuit court sont souvent vantés pour l’alimentation, mais c’est finalement quelque chose que l’on retrouve peu dans l’édition. Est-ce que là encore le caractère original de la démarche a joué dans votre décision ?
Ça n’a pas été l’élément décisif, mais oui, ça a joué, car cela correspond au mode de vie vers lequel je tends. Ceci dit, je ne pense pas que cela puisse être une solution généralisée aux problèmes de la chaîne du livre. Mais c’est intéressant de questionner la part de chacun. De voir s’il existe des moyens de la réajuster, sans fragiliser encore plus les partenaires en difficulté, mais en rappelant que l’auteur est le plus précaire d’entre eux, alors qu’il est le seul sans qui tout s’effondrerait.
Comment vit-on une campagne qui bat son plein quand on se retrouve aussi directement impliqué ? Stressée ? Enthousiasmée ? Les deux ?
Enthousiasmée par le projet, stressée par le crowdfunding pour les raisons précitées. Je sais que le public désireux de soutenir ce genre d’initiative existe, mais il n’est pas simple d’attirer son attention. On parle d’un milieu qui se soulève facilement sur les réseaux sociaux mais fait preuve, en pratique, d’une grande inertie. J’espère que, de plus en plus, les gens vont relayer la campagne. Pour participer, bien sûr, mais aussi pour discuter. On peut avoir des doutes, mais l’indifférence n’aidera personne à sortir du marasme.
Depuis quelques mois, la question de la rémunération des auteurs anime les débats, parfois de façon enflammée. La jugez-vous comme beaucoup alarmante ?
Elle est catastrophique. Comme je l’ai dit, on ne peut pas tolérer que la majorité des personnes à la base d’une industrie qui génère de grosses richesses vive sous le seuil de pauvreté. Il faut cesser de regarder l’artiste comme un grand enfant qui a la chance de faire des sous avec son loisir, et le considérer enfin comme un professionnel. Comme je le disais, il est celui sur lequel repose toute la chaîne du livre. Et il ne faut pas oublier que, si les autres maillons répartissent les risques financiers sur de nombreux ouvrages, l’auteur ne peut matériellement miser que sur les siens. Un roman, c’est entre six mois et deux ans à quasi plein temps. Si on ne lui permet pas de trouver son public, c’est autant de travail non rémunéré. Par ailleurs, assurer des revenus décents aux auteurs permettrait également d'enrichir la production, qu’elle ne soit plus trustée par des professions intellectuelles supérieures qui ont le temps et/ou les moyens de s’y consacrer « à côté ». Cela amènerait une diversité de parcours et de thématiques abordées qui bénéficierait à tous, et en premier lieu aux lecteurs.
Vous connaissez aussi les univers de la BD ou de l’animation. La situation est-elle aussi grave ? Pire peut-être ?
Je n’ai pas assez d’expérience en animation pour comparer. En BD, la situation est, à mon sens, grave mais moins désastreuse, car les avances sur droits (le montant que l’éditeur nous avance pendant qu’on travaille sur le livre) sont plus élevées. Mais j’aimerais revenir ici sur un mythe : beaucoup de personnes affirment que l’on est mieux payé en BD parce qu’il faut plus de temps pour les dessiner. C’est doublement faux. D’une part, écrire un roman est souvent aussi long qu’illustrer un album. D’autre part, la raison pour laquelle les éditeurs investissent des sommes supérieures sur la BD est simple : ils en vendent plus. Le jour où les ventes dégringoleront (c'est en cours), il ne faudra pas être surpris de voir les avances diminuer (c’est le cas), et, tant que les rapports de force demeureront tels quels, aucun « non mais j’avais un argument super rationnel pour justifier le fait d’avoir des sous presque en rapport avec mon temps de travail » n’y changera rien.
Je l’ai mentionnée un peu plus tôt, mais quel est votre regard sur l’auto-édition « pure et dure » si je puis dire ?
Je vais commencer par l’opinion qui fâche : oui, les lecteurs ont raison d’être méfiants sur la qualité. On pourra me rétorquer qu’on trouve de mauvais livres dans l’édition à compte d’éditeur, mais on y tombe rarement sur des ouvrages illisibles, truffés de fautes de syntaxe, rédigés par des personnes sans aucun recul, ne sachant pas du tout écrire.
Ceci étant rappelé, il me semble dommage de se priver, par paresse ou fermeture d’esprit, des nombreuses pépites disponibles en autoédition. Ce monde souffre des mêmes écueils que celui de la fanfiction, que je fréquente également, mais, comme lui, regorge d’auteurs d’immense talent, à qui l’édition traditionnelle ne tend jamais le micro. Refuser d’admettre ça, c’est se passer d’un contact avec des modes de pensée, des fantasmes et des idées d’une richesse phénoménale, et j’irai jusqu’à dire, de récits qui peuvent bouleverser nos certitudes. Je regrette que l'on ne s’intéresse à ces deux univers qu’avec une condescendance un peu hypocrite. Qu’on n’abaisse les yeux sur l’autoédition qu’à partir du moment où un succès a été racheté par un éditeur sans prise de risque, et qu’on décide de donner à la fanfiction du « fiction transformative » dès lors qu’elle est produite par un type connu.
Je n’hésiterai pas à recourir à l’autoédition, notamment pour mes livres difficiles à placer dans les circuits classiques. Mais ça n’en fait pas une solution à la paupérisation des auteurs. C’est facile de taper sur les éditeurs, mais c’est un métier, avec des compétences que nombre d’entre nous n’ont pas, et un temps de travail que nous sommes nombreux à ne pas souhaiter fournir. Et puis, finalement, c’est un peu comme le crowdfunding : un paradis pour ceux qui savent se vendre, ou bien donnent au public ce qu’il a envie de lire. Doit-on laisser sur le bord de la route les mauvais en comm’, et ceux qui rédigent des ouvrages moins ouvertement accessibles ?
Que pouvez-vous nous dire du roman lui-même, par rapport à vos autres écrits ?
Face au Dragon est l’histoire de Poly, une jeune femme qui « arrive très vite aux bonnes conclusions ». Elle a un grand recul sur elle-même et une profonde maturité, mais est très inexpérimentée et maladroite. Après avoir giflé une fille qui la harcelait, elle s’enfuit et se retrouve coincée sur une île avec quatre personnes qui se prétendent issues de différentes époques, et lui affirment que la seule manière de s’en sortir est qu’un chevalier tue un dragon. Autant dire que son côté terre à terre est mis à rude épreuve.
La narration est un peu plus légère que celle des Rhéteurs, mais similaire : immersive, introspective, dans la tête de l’héroïne dont les certitudes sont bouleversées. J’ai ici particulièrement voulu travailler sur ce qui fait la rationalité, sur les merveilles de rêve et d’aventure ouvertes par l’esprit critique, mais aussi sur les archétypes et leurs pendants dans la réalité. Face au Dragon, c’est le livre qui m’a manqué lorsque j’étais adolescente : un roman d’aventures enlevées, avec des personnages attachants et des créatures fantastiques, mais qui pose plein de questions, et place l’intelligence au cœur du récit. Cette dernière n’est plus la qualité d’un sidekick à binocles, mais une vertu cardinale, avec toute sa beauté protéiforme.
D’ailleurs, sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Je termine un scénario de bande dessinée de fantasy mêlant humour et sujets sociétaux (quelle surprise !). C’est avec Rebecca Morse au dessin, et ça sortira chez Bamboo. J’enchaîne sur mon premier roman de science-fiction, à destination des adolescents, puis sur le tome 3 des Rhéteurs, qui nous emmènera cette fois à Montès.
Et enfin, tout de même, un petit mot sur votre prix Elbakin.net ?
JE SUIS SUPER CONTENTE, RAVIE, HEUREUSE, SURPRISE, HONORÉE, SAUTILLANTE DE BONHEUR ET DE FÉLICITÉ ! YOUHOUUUUU !
Hum.
Si je n’ai pas été démesurément étonnée d’être dans la sélection compte tenu du soutien qu’Elbakin m’avait manifesté depuis Anasterry, je ne m’attendais vraiment pas à gagner, surtout face à de tels auteurs. Même si je ne cours pas après les honneurs, c’est une joie et un soulagement de se sentir encouragée. Depuis mes débuts, je suis une autrice à succès d’estime. On me complimente, mais sans « pousser » mes livres, et il en résulte parfois un sentiment d’indifférence. Ce prix a mis un baume dessus et, rien que pour ça, je suis reconnaissante. Donc, sincèrement : JE SUIS SUPER CONTENTE, RAVIE, HEUREUSE, SURPRISE, HONORÉE, SAUTILLANTE DE BONHEUR ET DE FÉLICITÉ ! YOUHOUUUUU !

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