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par justi
Istar
Et ainsi donc, pourquoi des œuvres comme celles de Marc Lévy, "50 nuances de Gray", Bernard Werber ou, pour repasser dans notre domaine chéri, "L'épouvanteur" ou "Harry Potter" se vendent-elles par camions entiers ?La question de la "simplicité" des dites œuvres n'est pas bête, mais elle ne recouvre pas, amha, la réalité des faits. Et, encore une fois, je pense que la réponse se trouve dans les codes.Les codes de lecture sont des choses qui varient et différent en fonction des publics. Par conséquent, les oeuvres avec les codes les plus partagés par la plus vaste majorité des publics auront plus de chances de toucher ce grand public, tout bêtement. Ce qu'il y a, c'est que notre perception (et surtout notre perception de lecteurs pratiquants) assimile ces codes plus partagés à de la simplicité, à de la facilité. Ce n'est pas le cas, c'est juste que ces codes, qu'ils soient narratifs, idéologiques, d'intrigue, de construction ou de je ne sais quoi, sont des codes basiques, dans le sens "de base", dans le sens "les codes communément admis". ils ne font pas preuve d'originalité, ils ne prennent pas de risques, ils ne cherchent pas à se différencier, au contraire. Ils cherchent à se conformer aux canons traditionnels, au connu, au déjà éprouvé. On peut voir cela comme une qualité ou un défaut, ce n'est pas le propos. Mon propos, ici, est juste de dire que ces œuvres appartiennent, volontairement ou non, par envie de toucher le plus grand nombre possible de lecteurs (que cette envie soit sincère ou motivée par le goût du lucre, ce n'est pas non plus mon propos ici), à un domaine culturel établi, codifié, attendu et différent de celui que l'on range dans la catégorie dite "complexe".Et donc, ces codes étant plus largement partagés, ils touchent un plus grand nombre de lecteurs et ont une chance de se vendre mieux.Une chance seulement, parce que, je le rappelle, il n'y a pas de règles ! Des œuvres parfaitement calibrées dans ces codes basiques font des fours commerciaux retentissants, qui peuvent amener des collections entières, voire des maisons d'édition, au bord de la disparition. Et, blabla, des œuvres plus "complexes" blablabla best-sellers aussi.On pourrait logiquement se dire : ok, les best-sellers "simples" le sont parce qu'ils se conforment à des codes et des modèles établis et largement partagés. Alors, comment est-il simplement possible que des œuvres dont les codes sont si éloignés des canons traditionnels puissent simplement devenir des best-sellers ?Généralement, on parle, pour expliquer ces succès imprévus, d'effet de mode, de hasard, d'air du temps. Je pense qu'on oublie un facteur très important : le lecteur est, comme tout être humain, un être ambivalent. Il aime son confort de lecture, il aime retrouver ce qu'il connaît déjà. Mais il aime aussi, au moins parfois, se dépasser, il aime parfois l'exotisme, il aime parfois qu'on le challenge, il aime parfois qu'on lui fasse lire des codes et des motifs différents. On ne peut pas lui demander d'être toujours prêt à faire le saut, mais il faut lui faire confiance, il y est naturellement disposé. Il lui faut juste le bon livre.C'est ce manque de confiance envers le lecteur qui nous amène à faire des distinctions entre "œuvre complexe" et "œuvre simple", ce manque de foi envers lui. Le lecteur, lui, il s'en fout, il lit.L'autre point que je pense qu'il faut retenir, c'est que la fantasy et les domaines qui y sont associés sont une littérature de niche. Une littérature aux codes tellement éloignés des canons traditionnels qu'il en devient difficile de l'aborder, une littérature à laquelle il faut s'éduquer, pour laquelle l'acquisition de codes et de méthodes narratives différentes est nécessaire et donc, une littérature qui ne comprend par nature qu'un certain nombre d'happy fews. Il faut l'accepter.Ce qui me permet, in fine, de répondre à ta question : "Alors je me pose la question, très sincèrement, l'auteur est-il obligé de faire ce choix ? Y a-t-il des oeuvres où on retrouve les deux "qualités", sans être une sorte d'entre-deux qui est un peu complexe et un peu facile à comprendre ?"La réponse est : non, il n'existe pas de codes qui soient à la fois partagés par le plus grand nombre et à la fois peu partagés par le plus grand nombre.Et la réponse est : oui, tout code est susceptible d'être appris par le plus grand nombre et de lui parler.Il n'y a pas à s'arracher les cheveux pour trouver une œuvre, un livre, un auteur qui parlerait à un (ou des millions) de lecteur(s). Il n'y a que des cas uniques, des codes qui parlent ou non à telle ou telle personne ou tel groupe de personnes. Il n'y a pas d’œuvres simples ou complexes.La seule chose réelle, la seule chose qui existe dans le domaine du rapport aux livres, c'est le goût. On a du goût pour telle ou telle chose, pour tel ou tel code. Il n'y a pas de passerelles, il n'y a pas d’œuvre-clé pour ouvrir à un monde (un code) différent. Il n'y a que le hasard des lectures, des rencontres, des conseils de lectures et du cœur, qui permettront de se perdre volontairement dans un amas de signes jetés sur du papier et de voyager, partager des émotions, se passionner ou non.