Et voilà donc que resurgit une des réalisations majeures dans le genre de la réécriture historique, que j'ai finalement un peu de mal à appeler "uchronie" dans le cas de Kay.En effet, les uchronies représentent souvent des émulsions plus ou moins stables entre l'histoire de notre monde et des éléments de merveilleux, d'étrange, ou d'anachronique. Chez Kay comme chez quelques autres, la réécriture de l'histoire s'apparente presque à un "plagiat" (avec d'énormes guillemets) d'époques et de contrées ayant existé : à Sarance, par exemple, on
n'est pas dans la Byzance de l'époque du Schisme et de l'empereur Justinien. On est dans un monde qui y ressemble très fortement, à un tel point qu'on ne sait pas toujours faire la différence entre ce qui est emprunté à l'Histoire et ce qui est inventé.Par exemple, en lisant ce livre j'avais trouvé passionnante l'idée de l'importance politique des courses de chars, des Couleurs (les Bleus et les Verts) qui s'affrontent dans les tribunes et jusque dans la rue, et du rôle très "people" joué par les conducteurs de chars. Eh bien, quelques mois après ma lecture, j'ai découvert à l'occasion d'un "E=M6" spécial empire romain que tous ces éléments étaient résolument historiques !Kay mélange donc allègrement la petite et la grande histoire, la romance, l'art et la politique, avec une question sous-jacente qui domine pourtant : la notion de postérité, la volonté des hommes de laisser une trace de leur passage sur terre : une oeuvre artistique, une oeuvre politique, ou même autrechose ...Comme les grands auteurs ne laissent rien au hasard, on peut aussi réfléchir à l'époque que Kay a choisi de paraphraser : l'empire Byzantin évoque souvent le terme de "décadence" dans nos esprits, même si il fut un grand empire, puisqu'il fut au départ un prolongement, un sursis accordé l'espace de quelques siècles à l'empire romain d'occident. C'est aussi le monde qui mêne au schisme entre l'église catholique et l'église orthodoxe d'orient, et ce sujet est également très présent dans ce livre, d'autant plus qu'une des divergences était l'iconoclasme, l'interdiction de la représentation picturale de dieu et de sa création ... donc de l'art.Aucune objection pour la Critique de Gillossen, bien au contraire, je trouve qu'elle rend particulièrement bien le sentiment doux-amer qu'on ressent à la lecture, ainsi que la grande liberté que cette forme "pseudo-historique" donne à l'auteur ...Et la note est un peu en dessous de ce que j'aurais personnellement mis, mais bon, je suis un inconditionnel !Enfin, pour les archivistes amateurs, je vous renvoie à ce sujet dédié à la Tapisserie de Fionavar, mais qui recelle d'anciennes et passionnantes discussions à bâtons rompus sur l'ensemble des oeuvres de Kay. Je viens de relire les 6 pages, et je dois dire que les analyses de Fangorn sont toujours aussi intéressantes, même deux ans après.
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