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Xavier Collette nous parle de Little Witches Exodus

Par Gillossen, le lundi 2 septembre 2019 à 09:15:00

WitchesOn ne présente plus Xavier Collette, qui vient de lancer une nouvelle mouture de son site officiel.
Il y a quelques mois maintenant de cela maintenant, l'artiste validait un bien joli projet sur Ulule, The Little Witches Exodus. Retour aujourd'hui avec lui sur cette expérience, mais aussi de façon plus large, sur les réseaux sociaux, les financements participatifs, la fantasy, et bien sûr, son travail au sens large.
Merci encore à Xavier pour sa disponibilité !

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Les questions

Pouvez-vous nous présenter le projet Little Witches ? Comment est-il né ?
Commençons par le début alors, et parlons de l’Inktober. C’est un événement sur internet, initié par Jake Parker. Le principe est de produire un dessin à l’encre chaque jour, pendant un mois. Tout ceci se passe en octobre. Ink + octobre = Inktober. C’est quelque chose de très suivi par les dessineux au niveau mondial, et à chaque nouvelle édition, une série de mots est donnée, indiquant le thème quotidien à illustrer. À chacun de faire comme bon lui semble et la suivre ou non, bien entendu.
Puis une année, je me suis dit que ce serait amusant de suivre cette liste mais d’y ajouter un petit quelque chose : raconter une histoire tout au long du mois. Chaque jour, une case de cette histoire, reprenant le mot thématique. Et c’est ainsi qu’est né The little witches Exodus.
Au fil des jours j’avais des demandes qui arrivaient : « et si tu en faisais quelque chose ? », « tu vas en faire un livre ? ». Et ces demandes se répétaient de plus en plus. Comme j’avais déjà fait un livre avec l’Inktober de l’année précédente, je me suis dit pourquoi pas. Puis j’ai un peu laissé de côté la chose à cause du travail principalement. Et l’Inktober suivant est arrivé, et j’ai recommencé une autre histoire (The Lost Recipe). Les demandes sont revenues. Plus fortes.
Donc je me suis lancé dans un financement participatif car je voulais ce livre un peu moins confidentiel que le précédent, et surtout je voulais lui offrir une jolie fabrication, que les gens aient quelque chose de joli dans leurs mains.
Un financement validé, ce n'est finalement que le début de l'aventure. Comment s'est déroulée la concrétisation du projet ?
En effet ! Ceci dit, le petit avantage que j’avais sur ce projet, c’était qu’une bonne partie du travail était déjà fait. Les Inktobers étant terminés, il fallait surtout que je m’occupe de la mise en page et de terminer les bonus, les goodies, etc. Il faut aussi gérer l’impression de tout cela, l’emballage, les expéditions. Bref, beaucoup de choses attendent l’auteur·rice d’un financement participatif une fois que ce dernier s’est terminé positivement.
Quelle a été la phase la plus complexe à gérer avec un peu de recul maintenant ?
Je pense que la phase la plus ardue sera toujours la budgétisation du projet. Il faut gérer beaucoup de paramètres et pouvoir se projeter sur le nombre de précommandes que l’on pourrait avoir. Savoir quand on sera rentable, savoir quand on peut augmenter la qualité de fabrication du livre, quel bonus on peut se permettre, et à quel moment. Beaucoup de paramètres entrent en compte : l’impression, les frais d’envoi, le conditionnement, le temps que l’on peut se permettre d’y consacrer par semaine/mois. Tout cela doit être pris en compte, pour ne pas « trahir » les gens qui y ont participé. Et aussi tenter (mais croyez-moi, cela rate à chaque fois) d’estimer la date de sortie du projet en question.
À tout cela s’ajoute une dernière couche : la campagne elle-même. Ce que beaucoup de gens oublient, c’est qu’un financement, c’est aussi une campagne publicitaire. Il faut savoir quoi dire et quoi faire régulièrement pour attirer toujours plus de gens. Avoir des relais dans la presse, des soutiens, un réseau, est à mon avis essentiel à la réussite d’un tel projet.
Pensez-vous que les bons projets s'en sortiront toujours sur Ulule & co ou que l'on risque malgré tout un véritable engorgement ?
C’est un peu une question piège… Dans mon for intérieur, j’aimerais dire que oui, et que beaucoup de jolis projets voient le jour comme cela. Parce qu’au final, un projet de qualité quand on le présente bien (et par là, j’inclus le fait de l’avoir préparé correctement, budget, faisabilité, étude de marché), il y a de fortes chances qu’il puisse aboutir. Et à côté de ça, force est de constater que des projets plutôt médiocres réussissent sans problème à se faire financer en masse, écrasant la visibilité de projets bien plus qualitatifs.
Et c’est là qu’on rentre dans un côté bien plus sombre d’internet, la notoriété ou les influenceur·euse·s. Certain·e·s sont des machines à sous – littéralement – et pourraient vous faire financer n’importe quoi (comme, je ne sais pas moi.. un rpg pourri fait avec un logiciel pourri, mais qui a emporté un des plus gros succès…). C’est vraiment la partie qui me plaît le moins. Car les projets dont je parlais dans la première partie vont se réaliser et se faire financer grâce à leur qualité, mais d’autres, médiocres, le sont parce que le porteur de projet est connu. Et ils se font dans une mesure bien plus grande en plus, avec des chiffres monstrueux.
Ajoutons aussi le fait que les maisons d’éditions passent aussi par ces financements. Je n’ai contre ça bien sûr. Mais avec une ou deux remarques tout de même. Quand une petite maison d’éditions se lance, je comprends qu’on puisse vouloir le faire comme ça. Histoire d’établir sa trésorerie sans trop de risque. C’est un bon élan, dirons-nous. Je le comprends aussi quand on veut sortir un livre complètement hors budget. On veut un beau livre, riche, avec une fabrication hors norme. Mais quand cela devient la façon de fonctionner sur du long terme ou quand une maison déjà établie multiplie les Ulules & co pour financer ses projets et ne plus prendre de risque… je ne sais pas, quelque chose me déplaît. Les plateformes qui étaient là pour aider les « petits » à se lancer, ont muté en quelque chose d’autre, et les petits doivent se débattre devant une profusion de choses contre lesquelles ils ne peuvent pas lutter. C’est un peu dommage et cela va jouer sur l’engorgement sur le long terme, c’est certain. 
Vous travaillez aussi bien dans le domaine des jeux de plateau - ou autre - que dans celui de la littérature. Avez-vous besoin de passer de l'un à l'autre ?
Non, pas vraiment. C’est surtout le hasard qui m’a conduit à bosser dans plusieurs domaines. Je ne sais pas par quel secteur je voulais vraiment commencer. Je voulais juste faire de l’illustration. Avec une préférence pour la fantasy. À partir de là sont venus mes premiers contrats (des couvertures de roman), et j’ai « rebondi » selon les propositions qu’on me faisait. Tant que je peux faire ce que j’aime, peu importe le domaine, ce que j’aime c’est illustrer des mondes, des personnages. Le secteur n’a pas d’importance réelle, que ce soit de la littérature, du jeu de plateau, du jeu vidéo ou autre, je m’amuse tout autant. Ceci dit, il faut bien se dire que beaucoup d’illustrateur·rice·s multiplient les champs d’activité pour raison financière. On pourrait en parler longtemps mais les temps sont vraiment rudes actuellement pour les artistes, et c’est souvent le seul moyen d’arriver à boucler les fins de mois.
Vous être très actif sur Twitter ou Instagram. Est-ce toujours un plaisir ou bien une « obligation » malgré tout, même pour quelqu’un d’aussi reconnu que vous ?
Comme quoi tout est une question de perspective car je ne me considère pas du tout comme quelqu’un de très actif sur les réseaux sociaux (et je ne parle pas de mon point de vue sur le fait d’être « reconnu ». Je suis toujours le petit gars qui fait des illus chez lui et puis c’est tout) ! Forcément, en tant qu’artiste et encore plus en tant qu’illustrateur, ces réseaux sont notre vitrine. C’est le moyen le plus simple que nous avons de nous faire connaître du public et d’éventuels clients.
Et cela entraîne une relation assez étrange de « je t’aime, moi non plus », en ce qui me concerne. Autant j’aime passer un peu de temps dessus, particulièrement sur Twitter parce que… c’est un grand n’importe quoi où on peut vraiment s’amuser. C’est aussi un moyen très efficace de s’informer si on sait où regarder. Puis c’est un excellent moyen de tisser des liens directs avec les gens qui apprécient notre travail. Et en même temps les réseaux sont devenus très exigeants. Au début il suffisait de poster des choses et les gens les voyaient. On s’abonnait à quelqu’un, ce quelqu’un postait quelque chose et on le ratait pas ! Puis les algorithmes sont arrivés. Et les réseaux ont décidé que, forcément, les gens préféraient qu’on leur montre une sélection de choses plutôt que tout montrer. Le résultat, c’est ce qu’on a maintenant : les populaires sont devenus encore plus populaires et les plus petits ont bien du mal à exister. Question de visibilité. Ce n’est pas la qualité de notre travail qui fait que l’on est vu mais notre « popularité ». Et quand je dis ça, il faut voir ce qu’est cette popularité. Car il ne faut plus seulement poster son travail mais y mettre une partie de soi. Montrer son quotidien, la photo de son chien, sa routine du matin (c’est chiant, hein). Poster régulièrement, mais pas trop. Avoir de l’engagement de son public, provoquer des réactions, poser des questions, etc. Car les algorithmes privilégient les publications qui ont X réactions pendant la première heure. Faire des stories sur Instagram, se montrer, faire des lives. Et tout cela avec la vie rêvée évidemment, rien ne doit dépasser, les photos doivent être belles, tout bien mis en valeur. Une vie qui n’existe pas au final mais que l’on doit montrer. On parle beaucoup de fake news, mais Instagram nous a littéralement créer une fake life.
Tout cela génère énormément de pression et de stress. Cela provoque quelque chose de très négatif : la comparaison permanente. On regarde le nombre d’abonnés, de likes, de commentaires. C’est, en gros, le royaume des stats et de la performance.
Vous l’aurez compris, ces réseaux, je les aime bien mais je les déteste aussi. Et malheureusement de plus en plus car ils ne prennent vraiment pas, pour moi, la bonne direction. C’est pourquoi sur la nouvelle mouture de mon site, j’ai remis un blog. Le besoin d’avoir un espace à soi auquel les gens peuvent s’abonner et être sûrs de tout recevoir/voir. Un peu de simplicité, en fait.
La fantasy est-il un genre qui vous a toujours attiré ?
Oui ! Ou l’imaginaire au sens large, avec une préférence pour la fantasy. J’ai toujours aimé ce qui me faisait sortir du monde réel (et ce aussi loin que je me souvienne, dans tous les domaines.. cinéma, livres… même pour mes jouets. Par exemple, je n’ai jamais été vraiment été attiré par les Lego « ville », alors que les chevaliers et l’espace, je connaissais le catalogue par cœur!) On le voit tous les jours, on y bosse, on va y faire ses courses, on le voit à la télé, dans les journaux, on s’y promène… pourquoi encore y rester quand on dessine ?
Au delà de ça, je pense que c’est une très bonne façon d’aborder des sujets concrets, ancrés dans notre monde bien à nous, humains, avec du recul. Le racisme, l’exclusion, la différence de classe sont des thèmes abordés plus que régulièrement dans l’imaginaire. Ce serait intéressant que l’on casse un peu les codes et les clichés qui font que la fantasy ou la SF sont souvent reléguées comme sous-littérature (en opposition à la blanche). Enfin, je ne pense pas que je sois le plus apte à défendre tout cela (parce que mon truc c’est le dessin, je ne suis pas très doué avec les mots), mais.. ce serait bien, quoi.
Quelles sont vos références artistiques, encore aujourd’hui ?
La question. Un peu de tout, je dirais ?
Sans rire, c’est assez large, surtout qu’il y a une partie consciente, et une autre pas du tout… j’ai fait mes premiers dessins étant gamin devant Dragon Ball et Saint Seiya. Plus tard ce fut Akira et Katsuhiro Otomo (son auteur). Donc cela fait partie de mon bagage artistique. Tout autant que la découverte de gens comme Alan Lee ou Brian Froud, ou de peintre comme Arnold Böcklin. Ou les films des studio Ghibli. Et le petit peuple illustré par Jean-Baptiste Monge. Mais aussi Alphonse Mucha, The Designers Republic, John Howe, Brom. Voilà, je dirais que ça doit être un mélange d’un peu tout ça. Et sûrement de bien d’autres choses aussi.
Comment se déroule la conception d'une illustration "type", si l'on peut dire ?
C’est très différent s’il s’agit de quelque chose de personnel ou d’un travail pour client.
Là où pour un travail personnel je vais être plutôt instinctif et me laisser aller, un travail client va avoir plus de contraintes et demander plus de structures, d’être plus malléable.
Donc pour un travail client : je procède toujours par plusieurs étapes. Un rough (cela peut être juste un croquis, ou directement quelque chose en couleurs, mais vite fait, pour poser une ambiance, une mise en scène) que j’envoie au client. C’est la première brique du projet. Une fois celui-ci validé, je peux passer à l’étape suivante, la couleur (ou l’ajustement de celle-ci, si j’en ai déjà mis dans le rough). À nouveau, j’envoie au client, il me fait ses retours dessus. Puis la dernière étape, la finalisation.
C’est une structure simple mais elle permet de ne pas avoir trop de retouches à faire à tout moment et de savoir où l’on va.
Et pour ce qui est du « personnel », c’est un gros n’importe quoi. Des fois il y a des croquis, des fois ce ne sont que des tâches de couleurs, il n’y a pas de filet de sécurité non plus, c’est plus expérimental.
Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil à un artiste débutant, quel serait-il ?
Pour paraphraser un certain Gandalf, je dirais « Fuyez, pauvres fous ! ».
En fait, en vrai conseil, je dirais de bien prendre conscience que c’est un métier. Et par là je veux dire qu’on a une passion, certes. Mais ce n’est pas parce que c’est un métier passion qu’on doit tout accepter. On ne se fait pas payer avec de la visibilité. On essaie de ne pas sous-évaluer son travail (c’est une erreur de débutant… proposer des tarifs très bas au début en espérant les augmenter avec le temps… bah non. Une fois qu’on est catalogué comme « le gars pas cher », croyez-moi, on enlève pas son étiquette comme ça du jour au lendemain). On lit bien ses contrats avant de les signer (même si on est tout content comme un chiot avec son nouveau jouet), c’est sérieux. Ce sont vos droits que vous négociez avec l’éditeur et il faut savoir les faire respecter (parce que parfois… quand on voit certains contrats, on se dit que certains éditeurs s’arrangent bien avec la loi, il faut donc être prudent). Et si on hésite, des organismes sont là pour nous aider, que ce soit le SNAC, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, la Ligue des auteurs, la Société des gens de lettres… il y a de quoi faire.
Puis pour la technique en elle-même, je dirais simplement de faire ce qu’il aime, être constant dans son travail (sans entrer dans le truc du « il faut dessiner tous les jours », gna gna gna… non, on n’est pas tous pareil, certains le font et c’est bien pour eux, d’autres, comme moi par exemple, s’en foutent complètement. Je n’ai pas « envie » de dessiner à tout bout de champ, non). Ne pas oublier de prendre soin de soi. C’est un métier exigeant, qui demande beaucoup d’heures de travail dans des positions parfois difficiles pour le dos, le cou… donc prendre des pauses. Savoir couper, se ressourcer aussi. Faire des pauses pour l’esprit. C’est important.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.


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