Il aura donc fallu attendre fin 2023 pour découvrir enfin Le Voyage de Shuna, une œuvre de "jeunesse" du grand Hayao Miyazaki. On écrit "jeunesse" entre guillemets, car l'auteur n'était déjà plus un jeune étudiant fraîchement diplômé depuis longtemps, mais disons que Ghibli n'existait pas encore.
En effet, cet album illustré - on ne peut pas vraiment parler de manga car il n'y a pas de phylactères - est paru au Japon en 1983. On y retrouve de nombreux thèmes qui irrigueront l'œuvre du maître, à commencer par ce penchant pour les adaptations. Dans le cas présent, il s'agit d'une transposition remaniée du conte tibétain "Le Prince qui fut changé en chien". Déjà, Miyazaki y apporte une patte évidente, à travers ses personnages, la place accordée à la nature, au destin...
Shuna est un personnage qui va défier l'adversité frontalement, contre l'avis de ses pairs, et qui au cours de son voyage va devoir réapprendre l'humilité, quand bien même incarne-t-il un héros pétri de qualités, et prompt à s'enflammer contre l'injustice, tout en ne perdant jamais de vue sa quête. Sa relation avec Théa, qui n'a pourtant que peu de place pour se développer en 140 pages, se révèle des plus touchantes. Tout est fluide, presque évident.
A vrai dire, on comprend vite pourquoi on peut considérer que ce récit graphique inspira par la suite d'autres œuvres de Miyazaki, père ou fils d'ailleurs, de Nausicaä quasiment dans la foulée, à l'adaptation (bancale, pour le coup) de Terremer d'Ursula K. Le Guin par Goro.
Sur le plan graphique, le trait de Miyazaki est déjà très affirmé et parfaitement maîtrisé. On le reconnait du premier coup d'oeil et son usage de l'aquarelle a de quoi nous ravir du début à la fin, le tout bénéficiant aussi d'un écrin à la hauteur, aux éditions Sarbacane.
Plongée dans un monde qui prend vie dès la première planche, aventure balisée mais joliment racontée, Le Voyage de Shuna, s'il ne tutoie pas les sommets plus tardifs de la filmographie du réalisateur, représente bien plus qu'un vestige exhumé simplement pour surfer sur la popularité de Miyazaki.
— Gillossen