Mad Sisters of Esi fut une expérience de lecture déroutante et fascinante à la fois.
C’est un roman (paru en Inde dès 2023) qui m’a happé par son souffle poétique et son inventivité, mais qui m’a aussi, de temps à autre, tenu à distance au gré de ses détours.
Dès les premières pages, on se retrouve frappé par la beauté de la prose mais surtout le cadre original qu'elle nous décrit cette baleine univers n'est pas qu'un décor de carton pâte, loin de là : Tashan Mehta écrit comme on tisse des songes, avec une langue souple et imagée qui donne l’impression que l’univers s’invente sous nos yeux.
La narration elle-même se veut changeante : tantôt conte, tantôt chronique savante, tantôt lettre ou confession, de quoi donner au livre une richesse indéniable, presque foisonnante.
Mais j’avoue que cette liberté narrative, si séduisante, m’a aussi parfois paru saper l’élan de l’histoire. À certains moments, l’architecture du récit prenait le pas sur ce qui était vécu.
Pourtant, ce qui m’a convaincu de bout en bout, ce sont les personnages, surtout Laleh et Myung, évidemment. Leur lien de sororité est le cœur vibrant du roman. À travers elles, on éprouve à la fois la tendresse, la douleur de la séparation, et la quête obstinée de se comprendre l’une l’autre. Mehta sait rendre cette relation intime et universelle : derrière les îles fabuleuses, les dieux changeants et la réalité mouvante, il y a la simplicité d’un amour parfois contradictoire, toujours émouvant. J’ai trouvé ce contraste saisissant : un monde si opaque, et des sentiments si clairs.
En revanche, le roman demande de la patience. On peut se perdre dans ses circonvolutions, avoir l’impression de relire certains motifs. Mais si l’on accepte ce rythme labyrinthique, on découvre un livre profondément différent, qui ose traiter la folie comme un moteur de création, qui réinvente les codes de la fantasy en y injectant une réflexion sur le récit lui-même.
Au bout du compte, Mad Sisters of Esi m’a laissé plus qu'enthousiaste : une partie de moi aurait peut-être voulu un fil narratif plus tendu, une émotion toujours à vif, mais j'admire sans réserve la liberté formelle et l’ambition de Tashan Mehta.
A noter qu'il est d'ores et déjà prévu chez nous aux éditions L'Atalante.
— Gillossen