Le cœur des Nagas

Lee Young-do est reconnu en Corée du Sud comme l’un des auteurs majeurs de la fantasy moderne. Sa tétralogie L'oiseau qui boit des larmes, initialement entamée en 2003, a rencontré un succès critique et populaire notable dans son pays.
Toutefois, ce n'était pas son coup d'essai, puisqu'il s'était déjà fait connaître avec Dragon Raja, là encore un univers de fantasy épique. La traduction française de ce premier tome, Le cœur des Nagas, donne enfin l’occasion au lectorat francophone de découvrir un univers qui s’éloigne des codes classiques de la fantasy occidentale, même si la promotion de Hachette Heroes en a fait le "Tolkien coréen" depuis des mois.
Dès les premières pages, si l'on doit trouver un lien avec l'auteur du Seigneur des Anneaux, c'est bien via l'ampleur d'un univers complexe et cohérent. Les différents peuples sont décrits avec une attention particulière concernant leurs usages, leurs croyances, bref, leurs codes. Cette cohérence interne rend le monde tangible, d'autant que l'auteur s'appuie visiblement sur le folklore local, y compris en remontant à l'ère du royaume de Silla. Selon moi, il s'agit de l’un des atouts majeurs du roman : chaque élément culturel semble répondre à une logique propre, ce qui renforce l'immersion.
Les personnages, eux, ne possèdent pas grand-chose de manichéen, de quoi rendre les réactions des protagonistes un peu plus imprévisibles que dans la moyenne des récits de fantasy épique. Le lecteur se voit invité à appréhender et accepter - ou pas - leurs motivations, dans un cadre social et moral complexe. Cela dit, l'intérêt du récit ne se limite pas aux personnages ou à l'univers déjà évoqués. Ce monde dans lequel ils évoluent les influencent, tout comme l’histoire. Climat, paysages et sociétés pèsent sur les choix et les contraintes auxquelles ils font face. Cette intégration de la nature (avec un N ?) ressort beaucoup au fil des pages. Le monde n’est pas un simple décor, il est vivant et participe pleinement au déroulement de l’intrigue.
Les passages plus calmes ne manquent pas et permettent de saisir les subtilités des sociétés et les tensions souvent tenaces entre ces peuples, tandis que les scènes d’action font avancer l’histoire sans jamais diluer la densité du texte, un équilibre pas si facile à trouver, auquel l'auteur ne renonce jamais, tant il met l'accent sur la compréhension de son canevas. 
Il en résulte toutefois un roman finalement assez "lent" sur le plan du rythme, ce qui ne signifie pas que l'on s'ennuie, seulement qu'il ne faut peut-être pas en attendre une cascade de rebondissements qui vont vous laisser le souffle court et le cœur battant la chamade à chaque chapitre. 
Enfin, ce premier tome laisse entrevoir une série ambitieuse, à l'image d'ailleurs d'une écriture soignée, dans un registre parfois soutenu et un peu figé qui convient bien à l'ensemble. Lee Young-Do ne se contente pas de construire un monde original : il pose les bases d’une exploration plus réfléchie que la moyenne des cultures et des créatures qui le peuplent. 
Une introduction, certes, mais une introduction réussie, et une expérience de lecture gratifiante, dans l'attente des trois tomes suivants !