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Comment écrire de la fiction : entretien avec L. Davoust
Par Gillossen, le mercredi 9 juin 2021 à 11:44:50
On connaît bien Lionel Davoust sur Elbakin.net : qu'il s'agisse de l'auteur, du traducteur ou du podcasteur.
Il revient en ce moment en librairie chez Argyll avec cette fois un guide d'écriture et a bien voulu nous accorder quelques minutes pour discuter fiction, comme dans Procrastination, mais... pas seulement.
Tous les détails ci-dessous !
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L'interview
- Question naturelle, comment est né ce projet avec les éditions Argyll ?
- Comme très souvent dans l’édition, l’accord de deux envies ! Je blogue depuis bientôt quinze ans, entre autres sur la technique d’écriture, et le podcast Procrastination que nous animons avec Mélanie Fazi et Estelle Faye boucle actuellement sa cinquième année… mais ces médias ne me permettent pas de creuser un certain nombre de concepts que je n’ai pu développer jusqu’ici que dans le cadre d’ateliers d’écriture sur la durée. Or, je commençais à vraiment avoir envie de théoriser tout cela d’une façon qui soit diffusée plus largement, en répondant également aux points techniques sur lesquels je voyais trébucher nombre de mes stagiaires. Et les éditions Argyll souhaitaient explorer l’édition de non-fiction aux côtés des romans, et on se connaît de (très) longue date avec Xavier Dollo et Simon Pinel, donc la rencontre était naturelle.
- Qu’est-ce qu’une auditrice ou un auditeur de Procrastination pourra y trouver de plus ?
- Moi tout seul. Donc plutôt quelque chose de moins… ?
Blague à part : le format court de Procrastination ne convient pas à l’étude prolongée, exhaustive d’un thème global comme le conflit narratif, par exemple. Actuellement, nos épisodes techniques soit balaient de façon globale un domaine (les épisodes « conseils de survie pour »), soient se focalisent sur un point très précis. D’Estelle, Mélanie et moi, je crois être le plus passionné par les aspects techniques des choses, donc j’ai dans Comment écrire de la fiction ? à cœur d’exposer ces choses-là à fond. Et puis il y a quelques schémas simples pour faire passer les notions, les schémas, ça passe moyen à la radio.
Donc en fait, par rapport à Procrastination, on me trouve moi, en vachement beaucoup. À vous de voir si c’est une bonne nouvelle.
- Avez-vous lu vous aussi beaucoup de « manuels » d’écriture ?
- J’en ai effectivement lu un certain nombre, surtout quand je « faisais mes classes », quand je m’efforçais d’apprivoiser la technique narrative pour me donner les outils de base me permettant de construire ma propre approche. Cela reste un sujet qui me passionne et je considère que l’on peut éternellement apprendre, donc je continue à en lire quand le temps me le permet, mais je préfère bien sûr maintenant des choses très pointues, très techniques, pour me pousser encore plus loin.
- Est-ce que ce fut un projet facile à rédiger une fois lancé, par rapport à l’écriture d’un roman ?
- C’est scandaleux tellement cela a été facile à écrire. Mais cela s’explique facilement : après tout, je malaxe et travaille ces idées non seulement dans le blog et les ateliers depuis des années, mais dans ma propre pratique littéralement chaque jour ; les idées étaient pour ainsi dire parfaitement formées, je n’avais plus qu’à les écrire. D’autre part, un roman est un théâtre multidimensionnel où l’on doit garder, dans une forme linéaire (on lit une phrase après l’autre), la trace de dizaines de trames narratives distinctes comme la dynamique du dialogue, l’environnement, les sens, l’intériorisation, l’action, la tension narrative… (ce que j’appelle le tesseract de la fiction dans le livre). Un essai, par comparaison, suit principalement un seul fil de raisonnement, ce qui éminemment plus facile à rédiger.
- Avez-vous vous-même appris ou redécouvert des choses en cours de route ?
- Pas dans l’écriture proprement dite, puisque je transmets réellement ce dont je me sers déjà au quotidien. En revanche, l’enseignement qui sert globalement de base à l’ouvrage m’a énormément servi à théoriser les choses. On dit que l’on ne peut transmettre clairement que ce que l’on a bien compris – je l’ai vécu quantité de fois en atelier d’écriture, où chercher à faire passer une notion m’a fait trouver une formule concise, et quand j’intervenais en traduction littéraire à l’université, où j’ai conscientisé certains processus en les décortiquant avec les étudiants et étudiantes.
- L’objet livre se révèle particulièrement soigné. Avez-vous toujours pensé intégrer des schémas, etc ?
- Je me suis dit, tant qu’à faire un essai et parler de technique narrative, autant tirer pleinement avantage de la forme, donc : effectivement, faire comprendre certaines choses de façon visuelle. Certains schémas sont d’ailleurs repris du blog (le flux de certitude dans la création identifié par émojis – oui, j’ai osé faire un truc pareil). Je n’en abuse pas, car je reste convaincu que dans un livre, un maximum de choses doit passer par le texte, mais comme je me l’interdis résolument dans un roman (pour cette raison), c’était ici l’occasion de prendre quelques libertés avec la forme. Un schéma vaut mieux qu’on long discours, il paraît.
- Encore aujourd’hui, il est question des règles qu’il faudrait, ou pas, savoir maîtriser pour réussir à « transformer l’essai » et on rencontre toujours une certaine résistance, comme quoi, écrire, ça ne s’apprend pas. Est-ce un débat sans fin ?
- Ce sera un débat sans fin tant qu’il y aura des gens pour générer de la controverse sur les réseaux commerciaux dans le seul but de se faire mousser. (J’imagine que ça veut dire oui ?) Oui, l’écriture s’apprend, la preuve : je sais d’où je viens, et j’affirme que j’ai appris.
C’est une question que j’avais à cœur à traiter dans l’ouvrage, et que je m’efforce de régler une bonne fois. Il existe, non pas des règles, mais des codes, qui reflètent simplement un lot d’attentes et de présupposés quant à la manière dont une histoire fonctionne. Ils ne sont ni bons ni mauvais, ils sont. Au niveau le plus fondamental, le langage écrit est un code, la ponctuation est un code, le fait que la fiction a du sens est un code. Peut-on les transgresser ? Bien évidemment. Le faut-il ? Hmm.
Tout est possible tant que c’est bien fait. Connaître les codes permet de ne pas en être le jouet, de s’en servir quand c’est pertinent, de les transgresser à bon escient. Je ne comprends pas comment l’on peut vouloir créer et surtout tenir à s’abstenir d’étudier la matière et la manière de sa création. Un peintre réfléchit à la lumière, un musicien apprend à accorder sa guitare. En quoi la technique littéraire serait-elle si grossière ? L’écriture est une discipline comme les autres : elle se situe à la rencontre de l’art et de l’artisanat. Les deux doivent s’efforcer de marcher ensemble, tenir à nier l’un ou l’autre des aspects est idiot.
- Peut-on s’attendre à un tome 2 ?
- Un tome 2, non, parce que j’avais à cœur de donner dans cet ouvrage-là tous les principes fondamentaux qui, à mon avis, peuvent alimenter la création (et pourquoi pas une carrière, moyennant évidemment une quantité certaine de travail). J’aurais pu écrire un livre beaucoup plus gros en entrant beaucoup plus dans le détail, mais le plan serait resté le même : j’ai véritablement mis là tout ce qui me semblait important. En revanche, j’ai tellement adoré cet exercice que j’ai envie de remettre le couvert, et proposer un autre ouvrage de technique littéraire sur un domaine différent et/ou avec une autre approche me démange déjà.
- Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux aspirantes et aspirants, lequel serait-ce, finalement ?
- Mettez-vous au boulot maintenant. Je vous assure que je sais combien c’est dur et terrifiant, je le vis tous les jours. Je sais aussi que c’est très facile d’être découragé, car l’on se dit : je doute que mes premiers efforts soient à la hauteur de mes ambitions. (Confidence : on se dit ça même pour les efforts suivants, après des années de pratique, donc autant s’y mettre au plus vite.) Sauf que l’écriture, c’est comme un instrument de musique. Certes, on risque fort de faire des couacs au début, mais c’est le métier qui rentre. En fait, le métier ne cesse jamais de rentrer. Il doit même rentrer sans cesse, comme un·e musicienn·e travaille tous les jours ou presque, car c’est avec un effort concerté que l’on progresse, comme dans toute discipline. Efforcez-vous d’en faire un peu tous les jours – pas besoin d’écrire vingt pages, loin de là – mais astreignez-vous à la discipline de consacrer au minimum quelques instants par jour à vos projet d’écriture (ce que j’appelle dans le livre « touche ton manuscrit tous les jours »), juste pour maintenir les choses en vie dans votre esprit. Et au bout d’un mois ou deux, vous aurez peut-être une petite nouvelle. Vous aurez progressé, appris des choses. Vous vous serez montré que c’est possible. Est-ce que ça n’est pas mieux que d’attendre des conditions d’écriture idéales qui n’arrivent pour ainsi dire jamais ?
- Pour finir, quelle sera donc l’actu de Lionel Davoust dans les mois à venir ?
- Je suis en train (enfin, à moyen terme) de boucler la saga « Les Dieux sauvages » avec La Succession des Âges, cinquième et dernier tome qui sortira en 2022. Cela promet d’être un monstre, peut-être encore plus gros que le quatrième tome, mais avec les événements et la de celui-ci (L’Héritage de l’Empire), la dynamique de l’histoire exige maintenant que je conclue en un seul roman. Il faut prendre soin de terminer absolument tout ce qui était en gestation dans les volumes précédents, ce qui n’est pas une mince affaire, mais je suis plutôt content du tour qu’il est en train de prendre. Et la saga est actuellement en cours de réédition chez Gallimard (Folio SF), les deux premiers tomes (La Messagère du Ciel et Le Verrou du Fleuve) viennent de reparaître en poche ; La Fureur de la Terre (le tome 3) devrait suivre d’ici la fin de l’année. Ensuite… je prends des vacances et je réfléchis à la suite !
Et à mesure que la situation sanitaire s’améliore, on peut timidement reprendre les salons ! J’ai un calendrier sur les rencontres à venir toujours à jour qu’on peut consulter ici. Venez dire bonjour, je ne mords pas, sauf si on me le demande gentiment.
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.
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