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Interview de Paul Kearney, auteur des Monarchies Divines

Par Lisbei, le lundi 23 juin 2008 à 21:48:29

Paul KearneyNotre dernière interview de Paul Kearney commençait à dater quelque peu. Surtout qu'entre temps, il lui est arrivé pas mal de petites histoires (voir l'interview) pas vraiment drôles.

Voici donc pour vous la traduction toute récente d'une interview réalisée sur A dribble of ink !

En parler en forum

Traduction de l'interview

Paul, c’est un honneur de vous avoir sur A Dribble of Ink ! Merci d’avoir pris le temps de faire une pause ici et de répondre à quelques questions. Commençons. Pourquoi écrivez-vous ?
Waouh, vous allez droit au but. Je suppose que je n’ai pas vraiment eu le choix. J’écris pour la même raison qui fait que d’autres lorgnent les voitures de course ou gravissent des montagnes. Je n’ai pas mon mot à dire. C’est juste ma façon d’être. Sans être pour autant les yeux dans le vague et me la jouer baba-cool, je ne peux pas imaginer de ne pas écrire, même si je ne devais pas être payer pour le faire. Je pense que la plupart des écrivains diraient la même chose. Quand vous déposez vos écrits sur une page, c’est comme si vous préserviez un peu de vous-même pour la postérité.
Dans ce cas, pourquoi choisir la Fantasy ?
Je pense que c’est ce qui est venu naturellement. Mon premier roman parlait d’un homme qui perd sa femme dans un accident d’escalade, accident dont il porte en grande partie la responsabilité. Cela se passait dans le monde réel, dans une maison de convalescence et sur le Skye. C’était aussi ancré dans la réalité qu’un livre peut l’être. Mais j’avais simplement besoin de rajouter quelque chose à cette histoire pour vraiment parvenir à exprimer ce que je voulais. J’avais besoin d’un peu de piment ou de frisson supplémentaire pour contrebalancer les éléments prosaïques. J’ai toujours eu besoin de ça dans les histoires, je m’en suis rendu compte. Je ne pense pas que je possède un sens du drame réaliste et social. J’ai besoin de cet aiguillon du fantastique. Plus tard, quand je suis venu à la fantasy épique (ou héroïc fantasy), j’ai beaucoup aimé car elle me permettait de travailler sur des thèmes que je trouvais intéressants dans le monde réel, comme par exemple la rivalité entre chrétienté et islam, ou l’intolérance religieuse, mais que je pouvais renverser complètement, parce que c’était mon monde avec lequel je jouais, et que c’était moi qui en dictais les règles. Mec, ça peut être vraiment marrant.
Vous vous souvenez de la première histoire que vous avez écrite ?
C’était un roman fleuve, Dieu nous garde. Je n’ai jamais été du genre à écrire des nouvelles. J’avais 16 ans, gaga de Tolkien et de Stephen Donaldson, et j’ai écris une fantasy pour adolescents tout ce qu’il y a de banal, qui se déroulait dans un monde que j’avais créé moi-même. Je pense qu’il devait faire environ 125 000 mots, et sur le tout environ la moitié était lisible. Mais cela m’a beaucoup appris. Je n’ai pas écris de nouveau roman pendant 5 ans, mais l’expérience qu’a représenté l’écriture d’un si long récit m’a mis sur la bonne voie.
Votre rupture avec Bantam a été très médiatisée, à un point où vous avez même considéré l’idée d’abandonner carrément l’écriture. Maintenant, avec presque un an de recul, comment voyez-vous ce moment de votre carrière passée et comment les choses ont-elles évolué depuis ?
C’était une période bizarre. J’étais fier des livres que j’avais écrits pour Bantam, et j’avais l’intention de m’y remettre sous peu. L’avance que j’avais touchée pour ces livres était importante, au moins pour moi. J’avais de supers éditeurs, ce qui est primordial, et j’adorais les histoires que je racontais. Mais les ventes n’étaient pas au rendez-vous. Quand Bantam m’a laissé tomber, j’étais vraiment pris au dépourvu. Je pense que c’était principalement parce que, à l’époque, je ne connaissais aucun autre auteur de fantasy qui avait été débarqué par son éditeur au beau milieu d’une série. J’ai fait le bilan de ce que je faisais, et j’ai commencé à me demander si je n’avais pas fait fausse route pendant toutes ces années. A ce moment-là, aucun de mes livres n’était réédité, et la plupart n’étaient carrément plus disponibles en anglais. Cela m’a causé un choc. J’ai commencé à me demander si la féministe hystérique qui m’avait envoyé par mail une tirade me traitant de misogyne et de brute épaisse n’avait pas dit vrai. Peut-être que les gens n’avaient tout simplement pas envie de lire ce que j’écrivais, un point c’est tout. Et sans Solaris, je serais sûrement en train de gagner ma vie en faisant complètement autre chose. Le monde de l’édition a tellement changé en dix ans, c’est maintenant une toute autre machine que le commerce de gentlemen que j’ai rencontré pour la première fois au début des années 90. Je commençais à me demander si je n’étais pas un vieux fossile entêté, trop englué dans ses habitudes pour changer. Solaris est le parfait antidote.
La rumeur prétend que Patrick St. Denis (du site Pat’s Fantasy Hotlist) a été un pivot décisif pour vous mettre en rapport avec votre nouvel éditeur. Cela vous ennuie-t-il de nous dire comment vous et Solaris avez commencé à travailler ensemble ?
Mark Newton m’a envoyé un mail sortant de nulle part, pour me demander si j’aimerais écrire quelque chose pour lui. Apparemment, il avait lu ce qui s’était passé avec Bantam sur le blog de Patrick. Patrick, si tu lis ça, je te dois une bière ! C’était un heureux hasard, un cadeau des cieux, un coup de fouet … choisissez votre métaphore. Et une façon de dire qu’internet est finalement bon à quelque chose…
Y a-t-il une chance pour que nous voyions un autre roman dans la série The Sea Beggars ?
Oui. Le dernier livre, qui est un gros bouquin, va clôturer la série complète. Le titre provisoire est Storm of the Dead, mais cela peut changer. En fait j’espère le publier cette année, et ensuite Solaris veut publier la série complète sous forme d’intégrale. Il suffit d’attendre de récupérer les droits que détient Bantam. Mais croyez-moi, cette série sera finie, même si je dois finir de l’écrire avec mon propre sang en guise d’encre.
Vous êtes actuellement en train de réécrire Les Vaisseaux de l’Ouest, le dernier volume de la série Les Monarchies divines, en préparation de l’édition en intégrale à paraître. Quel genre de travail cela représente de reprendre cette série, et pourquoi en a-t-elle besoin ?
J’ai écrit la fin des Vaisseaux dans la précipitation à cause de la date à laquelle je devais le rendre, et une partie de l’histoire est un peu tronquée. J’ai disposé de certains des personnages principaux d’une façon qu’à l’époque j’ai trouvé brutalement réaliste, mais que je regrette à présent. Abeleyn, par exemple. Je vais rajouter environ 10 000 mots au livre, et lisser certaines de ces imperfections. Mais la réécriture ne va pas modifier le cours des intrigues principales, ni changer le sort des personnages. Ce qui est arrivé devait arriver. Je pense simplement que la façon dont c’était conté peut être légèrement adoucie.
Pouvez-vous nous parler des problèmes juridiques qui repousse la sortie de cette intégrale ?
C’est un assez grand mystère pour moi. Cela fait maintenant près d’un an que chez Berkeley ils restent assis les doigts dans le cul. Légalement, ils n’ont aucun droit d’accaparer les livres de cette façon, et ils avaient dit qu’ils rendraient les titres sans délai. Cela fait un moment qu’ils disent ça. Pour être honnête, je pense qu’il s’agit simplement d’inertie bureaucratique. Néanmoins, il semble que les choses commencent enfin à bouger.
Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos de Paul Kearney que ces lecteurs ne savent pas ?
Je ne sais pas naviguer. En dépit de tous les éléments nautiques dans mes livres, je ne suis pas fichu de manœuvrer un bateau. Il y a quelques années, j’étais en Israël et mon éditeur israélien m’a emmené faire un tour sur son yacht, un monstre de 60 pieds. Il supposait naturellement que j’étais un bon marin, et m’a laissé la barre. J’ai réussi à faire prendre la mer à ce monstre sans le couler, mais ce furent des heures stressantes …
A quoi devons-nous nous attendre dans votre roman à paraître, The Ten Thousand, qui sera publié par Solaris en septembre ?
C’est une histoire militaire, qui pour résumer retrace la vie et les actions d’une armée, et qui se passe dans un monde complètement nouveau, basé à la fois sur la Perse de la dynastie des Achéménides et sur la Grèce du Vème siècle avant JC. Le livre aborde la question du racisme, puisque les Macht et les Kufr sont entièrement étrangers les uns aux autres. Sans vouloir me jeter des fleurs, je pense que ce livre contient la meilleure scène de bataille que j’ai jamais écrite.
D’après vous, quel auteur méconnu mériterait plus d’attention de la part des amateurs de SF/fantasy ?
Il y en a beaucoup ! Le parlement des fées de John Crowley est un chef d’œuvre, de la même façon que la plupart des écrits d’Alan Garner. Chacun d’eux bat Philip Pullman à plates coutures. La trilogie Alexandre de Mary Renault me donne toujours la chair de poule que je la lis. C’est historique, mais cela présente la société de la Grèce antique sous un jour si étrange et étranger que cela ressemble plus à de la science-fiction. Graham Joyce mériterait aussi d’être plus largement connu. Quand je pense à ces pavés qui remplissent les étagères des librairies dans les aéroports…
Les cartes sont actuellement une actualité brûlante sur la blogosphère et les forums. Que pensez-vous des cartes dans les romans de fantasy ? Sont-elles indispensables à l’histoire, totalement superflues ou quelque part entre ces deux extrêmes ?
J’aime les cartes. Je suis un faiseur de cartes, un carto-maniaque. Le première chose que je fais quand je commence un nouveau livre est tracer une carte, même si elle n’apparaîtra pas à la publication. Cela m’aide à clarifier mes idées, et à camper mes personnages dans le temps et dans l’espace. Si, comme moi, vous écrivez souvent à propos de voyages, de campagnes militaires et de marches, alors vous avez besoin d’un outil de référence pour rester cohérent et donner un sens à votre monde. Et plus il y en a, mieux c’est, d’après moi. J’aime les cartes depuis ma jeunesse, lorsque je passais des heures sur L’Île au trésor.
Quel a été l’impact sur votre écriture d’avoir grandi en Irlande du Nord ?
Cela a mis la religion au centre de mon imagination, pour le pire ou pour le meilleur. A présent je suis plutôt un agnostique. Une de ces personnes indécises et pleines d’espoir qui aimeraient croire qu’il y a un Dieu mais qui ne peuvent se résoudre à gober toute l’histoire. Voir les gens se faire tuer autour de moi chaque jour pendant mon enfance m’a fait haïr férocement les religions instituées. Après l’école nous avions l’habitude de faire des bagarres Protestants contre Catholiques à l’arrêt de bus, ce qui était amusant à l’époque, mais qui n’était pas vraiment le symptôme d’une société saine.
Cela étant dit, j’ai grandi dans un environnement rural qui était largement à l’écart des troubles urbains. J’ai fait un compte-rendu assez fidèle dans A different Kingdom, mon second livre, qui reste à ce jour la meilleure chose que j’ai jamais écrite. J’ai grandi avec des chevaux, du bétail, des champs et des forêts à deux pas de ma porte, et je ne vois pas ce que l’on peut demander de plus lorsqu’on est enfant. (Maintenant les bois ont été rasés, les champs couverts de résidences et le bétail a une bouche et deux jambes, mais c’était magnifique tant que cela a duré.)
C’est étrange, mais j’ai quitté l’Irlande du Nord pendant bon nombre d’années, et quand je suis revenu, la guerre était finie. Et pourtant, étrangement, la société semblait plus divisée et plus morose que jamais. Le terrorisme a reculé, et la drogue a augmenté. Allez comprendre. Dans tous les cas, je suis le produit de ce pays, et je n’aurai voulu grandir nulle part ailleurs dans le monde.
Ou alors peut-être aux Bahamas. Cela aurait été chouette.

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