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Un entretien avec Jean-Laurent Del Socorro
Par Gillossen, le lundi 6 avril 2015 à 20:00:00
Royaume de vent et de colères est incontestablement l'une des grandes sensations de ce début d'année en fantasy.
Pour l'occasion, l'auteur de ce premier roman, Jean-Laurent Del Socorro, a bien voulu prendre le temps de répondre à nos questions, au sujet de son livre comme de façon plus générale à propos de son parcours.
Merci encore à lui !
L'interview
- Une question attendue pour commencer, mais comment est né ce projet ?
- Je ne sais plus exactement comment est venue l’idée initiale du projet. Ce roman était avant tout un essai pour éprouver une méthode de travail. J’écrivais des nouvelles et je voulais savoir si j’étais capable d’écrire jusqu’au bout un texte plus long de la taille d’un roman. J’avais besoin d’un cadre. J’en ai choisi un historique car, pour moi, c’était plus simple que de créer un monde de toute pièce. J’avais également une trame de fond en choisissant la période : celle de l’assassinat de Casaulx. Je voulais un récit centré sur les personnages. Mon hypothèse de départ était de créer un lieu – La roue de fortune – qui les réunirait. Je voulais enfin utiliser l’écriture théâtrale pour élaborer mon texte. À partir de ces éléments, le roman s’est vraiment constitué au fil de l’écriture.
- Avez-vous toujours vu votre roman comme court et dense ou bien cette vision a-t-elle évolué au fil du temps ?
- Je ne suis pas un littéraire, mais un scientifique. J’ai le réflexe de la synthèse. Mes nouvelles sont assez courtes et denses. Mon objectif en attaquant était d’atteindre les 250 000 signes minimum pour que le texte soit un roman et que je puisse le présenter à un éditeur. Je savais que sur un premier essai, je n’irai pas au-delà. À partir d’une base d’écriture de 150 000 signes, j’ai dû apprendre à épaissir le texte sans faire de remplissage. C’est un travail que j’ai réalisé avec mes deux relecteurs qui m’ont indiqué des pistes pour donner de la chair au récit, pour choisir ce qui méritait d’être approfondi ou pas. J’ai décidé de compléter le roman d’une nouvelle. C’était avant tout une envie, celle de raconter plus en détail l’histoire d’un personnage que je ne faisais qu’effleurer dans le roman.
- Pouvez-vous nous dire un mot de votre collaboration avec les éditions ActuSF au cours du processus d’édition.
- Cette collaboration a été aussi rigoureuse que bienveillante. Tout est allé assez vite : fin aout je terminais le roman, mi-septembre je le présentais à ActuSF et mi-octobre, le manuscrit était retenu. Fin octobre, je signais pour la remise d’un manuscrit final début janvier.
Jérôme Vincent m’a fait oralement une première série de conseils le jour où il m’a annoncé qu’il était intéressé pour me publier, puis il a fait un retour complet sur la nouvelle version du texte que je lui ai remise quelques semaines plus tard. Ensuite, Marie Marquez a fait la relecture finale, avec des réglages et des retours plus fins et précis. Elle a également réalisée la mise en page à laquelle elle m’a en partie associé, sur le choix des lettrines notamment. Cerise sur le gâteau, Ugo Bellegamba qui a accepté de faire la préface, m’a fait spontanément des retours sur le texte. Pour la couverture, c’est Eric Holstein qui a fait les proposions d’illustrations. J’ai trouvé celle de Milek Jakubiec magnifique et d’une grande justesse dès que je l’ai vue la première fois.
Je suis vraiment comblé par le travail qui a été réalisé sur le roman. C’était un moment merveilleux et dense à la fois. J’ai été très impatient de voir le roman en vrai. J’attendais tous les jours le mail de Marie qui m’annoncerait qu’il était enfin arrivé dans les locaux d’actuSF. Ça a été quelque chose de tenir pour la première fois le livre dans mes mains, comme un gamin qui vient chercher son cadeau de noël. Je souhaite à tous ceux qui éditent leur premier roman d’avoir des gens aussi attentifs et généreux pour les accompagner.
- Choisir Marseille pour cadre de même qu’une telle période historique changent largement du tout-venant. Quel est votre rapport à cette ville ?
- J’y ai habité pendant trois ans. J’en garde de très bons souvenirs, autant amicaux que professionnels. J’y retourne de temps en temps, toujours avec plaisir.
Marseille est une ville qu’on aime et qu’on déteste à la fois. Quand je me suis intéressé à son histoire, j’ai découvert plein de petites anecdotes propres à cette ville qui ont tout de suite attiré mon attention : des excommunications, des interdictions, des sièges, de trahisons... Un véritable royaume dans le royaume. Aujourd’hui encore, c’est cet aspect de ville-état rebelle, jamais tout à fait dans le giron du territoire national, qui me fascine.
- Outre votre décor, vos personnages sont particulièrement savoureux. Avez-vous trouvé leur voix à tous facilement ?
- Je conçois mes héros comme des personnages de théâtre. J’écris au Je pour mieux me glisser dans leur peau, comme un acteur dans un rôle. À partir de là, j’arrive assez facilement à créer des personnages et à trouver leurs voix. C’est un peu moins vrai pour les personnages féminins qui nécessitent davantage de travail, pour les différentier d’une part, et pour ne pas tomber dans le cliché d’autre part. C’est cette oralité de mes personnages qui me permet facilement de les faire parler avant de les poser sur le papier.
- Auriez-vous d’ailleurs une bibliographie à conseiller en rapport avec Royaumes de vent et de colères ?
- Non, je travaille beaucoup avec internet. Mes recherches se compilent au fur et à mesure des liens vers de pages, des essais ou des livres disponibles dans les différentes bibliothèques en ligne. J’efface les liens au fur et à mesure. Je crois que je n’ai malheureusement rien à vous indiquer si ce n’est la carte que l’on trouve au milieu de cet article : http://fr.wikipedia.org/wiki/Vieux-Port_de_Marseille.
C’est le plan de Marseille vers 1575 qui m’a servi à décrire la ville à l’époque. J’en avais titré une exemplaire A3 qui était mon seul support visuel pour la description de la ville.
- Et en parallèle, connaissez-vous le jeu de rôle à Te Deum pour un Massacre de Jean-Philippe Jaworski ? J’ai trouvé qu’on retrouvait une ambiance un peu similaire.
- Je connais le jeu, j’y ai joué et je l’ai même lu il y a longtemps, quand la première édition est sortie. Je ne m’en suis pas inspiré, mais je pense que les guerres de religions en elles-mêmes induisent une ambiance bien particulière et définie. Leur simple mention est déjà évocatrice pour notre imaginaire, notamment pour la période de la Saint-Barthélemy. Par ailleurs je suis un grand fan de Jaworski, notamment de son Gagner la guerre.
- Êtes-vous vous-même un lecteur de fantasy ? Si oui, quelles sont vos références du genre ? Si non, quelles sont vos références tout court, question littérature ?
- Je suis un lecteur assez compulsif, entre 60 et 80 ouvrages par an. Je lis beaucoup de livres de SF, et de fantasy, mais également de la littérature blanche et des essais. Je n’ai pas de références particulières, j’ai des coups de cœur sur des romans, tous genres confondus. J’ai cependant un lien plus particulier avec les œuvres de Lovecraft car c’est avec ses livres que j’ai commencé à m’intéresser aux littératures de l’imaginaire. Autre point important : je suis un amateur de nouvelles. Je suis très attaché à cette forme d’écriture. Là encore, avoir commencé par les recueils de Lovecraft n’est sans doute pas étranger à cet attachement.
- Quel est votre sentiment sur l’image actuelle de la fantasy et plus largement des littératures de l’imaginaire ?
- Je deviens plus exigeant avec le temps et pourtant je découvre toujours des romans qui arrivent à me surprendre. C’est plutôt le signe qu’il y a de très bonne chose dans la littérature actuelle. J’arrive toujours à trouver des romans qui soient un peu innovants, même s’ils ne représentent qu’une petite proportion des nombreuses sorties. La bonne vieille fantasy à certes son charme, mais je ne serai pas contre un peu plus d’histoires qui prennent davantage de risques. À ce niveau-là, je trouve que la production française est assez inventive.
- Une préface signée Ugo Bellagamba, des critiques souvent élogieuses… Ça va, vous tenez le choc de la pression pour le moment ?
- Oui, mais il est certainement plus facile je pense d’avoir à gérer des avis positifs que négatifs. Et je ne sais pas si on peut aller jusqu’à parler de pression. J’ai été très ému quand j’ai lu la préface d’Ugo Bellagamba. C’est quelque chose d’avoir l’auteur de Tancrède qui vous félicite pour votre roman de fantasy historique ! J’ai été extrêmement touché par les critiques et tout spécialement la première, celle de Gilthanas sur Elbakin.net. J’ai été surpris et flatté de son enthousiasme ! Elle a été comme un bouclier : après une telle critique, toutes les autres auraient pu être mauvaises, elles ne m’auraient plus atteint. Tous les retours ne sont pas positifs, loin de là, mais je trouve que les littératures de genre ont un bel avantage sur la littérature dite classique. Ceux qui mettent leur avis en ligne, bons, ou moins bons, expliquent toujours en détail leur choix. Je trouve que c’est réellement inestimables pour un auteur de comprendre au mieux ses lecteurs.
ActuSF a fait un énorme travail au niveau de la presse et des médias pour la promotion de Royaume. Je crois que ce qui me surprend le plus, c’est au niveau locale. Un article est paru dans le Dauphiné libéré. Depuis, mon poissonnier me félicite, ainsi que les serveurs des bars que je fréquente, les libraires de mon quartier font maintenant le lien entre moi et le livre qu’ils mettent en avant dans leurs rayons… Je suis à la fois aux anges et un peu intimidé. Je tiens beaucoup à ma discrétion. Je préfère être dans les coulisses plutôt que sur la scène. En tout cas, je suis vraiment heureux que la rencontre de Royaume de vent et de colère avec les lecteurs ait été aussi bienveillante.
- On dit souvent que les auteurs n’ont plus le temps de lire. Est-ce votre cas ? Quel est votre dernier coup de cœur littéraire en date ?
- Je suis et reste avant tout un lecteur. Écrire ne m’empêchera jamais de lire. C’est une source d’inspiration, une forme d’auto-formation également pour savoir ce qui est fait, voir comment l’écriture évolue…. mais c’est d’abord un plaisir.
Je n’ai pas un coup de cœur, mais plusieurs. Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor, Fées Weeds et guillotine de Karim Berrouka que je trouve jubilatoire, Home un roman court et percutant de Toni Morisson que je trouve époustouflant, Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, de Mary Ann Shaffer, un roman épistolaire qui évoque avec humour l’histoire de Guernesey pendant la seconde guerre mondiale. J’ai également apprécié Sovok de Cédric Ferrand, qui est un très bon ami. J’ai trouvé son second roman plus personnel que le précédent, Wastburg.
- Et enfin, à quoi peut-on s’attendre ensuite de votre part ? Que peut-on vous souhaiter ?
- Je vais prendre le temps de discuter avec ceux qui me lisent. Il y a eu une première séance de dédicaces dans les locaux d’ActuSF en avril. J’ai réalisé que c’était ça qui me manquait. Voir les gens en vrai, leur parler, sentir comment ils aiment ou détestent le roman. J’adore les voir se réapproprier le livre et y voir des choses auxquelles je n’ai jamais pensé ! C’est vraiment jubilatoire.
Je serai aux imaginales du 28 au 31 mai prochains, aux Futuriales les 13 et 14 juin, au salon de l’imaginaire de Lambesc les 17 et 18 octobre et aux Utopiales en fin d’année. Si j’ai un souhait, c’est que Gabriel, Axelle, Armand et Victoire – et je n’oublie pas Silas – continuent eux-aussi à rencontrer leurs publics. Et que cette rencontre se fasse toujours sous le signe de la bienveillance.
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière
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