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Pour rebondir maintenant sur ce qu'a dit Tybalt :

Tybalt a écrit :Un point qui n'a pas été abordé et qui mériterait de l'être serait : a-t-on absolument besoin de réalisme dans les genres de l'imaginaire ? Je trouve que l'exigence de réalisme a tendance à tout envahir (peut-être parce qu'elle est liée au genre du roman ?) et c'est bien dommage, en particulier dans les genres de l'imaginaire et tout particulièrement pour la fantasy qui se coupent ainsi de ses sources principales, mythes, contes et légendes où l'irrationnel et l'illogique tiennent une grande place.

c'est un point super intéressant en effet !

ça peut sembler paradoxal d'entrée, mais au final je travaille à peu près de la même manière sur la partie Imaginaire et sur la partie historique de mes romans. Je me renseigne au maximum sur les sources, sur les mythologies dont je m'inspire, et surtout j'essaye de comprendre quel est le sens des contes et des légendes, ce qu'ils disent sur la manière de penser le monde des hommes qui les ont créés.

Par exemple, sur les mythologies nordiques, je trouve passionnant la manière dont depuis quelques décennies on revient davantage aux origines des mythes, en allant plus loin que les représentations très christianisées qui sont les premières à être venues jusqu'à nous.

Encore une fois, je trouve cela plus intéressant et plus riche, et ça donne aussi souvent des romans plus originaux ;)

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Décidément j'aime beaucoup la discussion sur ce sujet, elle creuse plein de points passionnants :)

Pour rebondir sur ce qu'amène Benedick, je ne cherche pas un argument d'autorité dans la référence historique, plutôt une base de travail solide qui me permette d'aller plus loin que si j'étais restée toute seule dans ma propre tête.

Après, comme j'écris des romans, et pas des livres documentaires, l'une des questions cruciales que je me pose est toujours :
pourquoi moi, en 2021, vais-je écrire un roman qui se place dans telle ou telle période ou qui fait référence à telle culture ou tel mythe ? Quel va être mon point de vue ?

Et pareil, en tant que lectrice, c'est forcément ce point de vue de l'auteur qui va m'intéresser, aussi.
Cependant, plus ce point de vue va être creusé, étayé, nourri de discussions et de lectures, plus il va m'apporter quelque chose et enrichir le roman.

Enfin, c'est plus facile de prendre une position intéressante par rapport à quelque chose qu'on connaît bien que par rapport à quelque chose qu'on connaît peu.
( On dérive un peu du sujet de base, mais j'ai rencontré pas mal de scénaristes qui se vantaient de ne pas voir de films fantastiques "pour ne pas être influencés", et qui au final réinventaient l'eau tiède, et déclaraient super fièrement, en croyant révolutionner le genre :
- là j'ai écrit un truc jamais vu, à la fin on s'aperçoit qu'en fait, le héros, c'était un fantôme !)
( Je ne pense pas qu'il faille révolutionner le genre à chaque livre ou chaque film, loin de là ! Mais si on part sur un schéma hyper classique, il vaut mieux être en conscient, pour ne pas se reposer sur sa "bonne idée" trop vite).

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Dernier post sur le sujet aujourd'hui ( après il faut que je retourne à mes relectures !) :

sur les rapports humains dans les livres : Lionel en parle aussi dans l'épisode, en prenant l'exemple de l'histoire militaire, se documenter permet aussi de rendre plus complexes et plus "vrais", moins schématiques, les rapports humains dans les romans.

Pour sortir un peu de l'Historique cette fois, dans les romans qui parlent de cinéma ou de théâtre, cela fait vraiment une différence quand l'auteur connaît le sujet, la psychologie des comédiens, la vie sur un plateau ou dans une troupe... soit parce qu'il a lui-même arpenté ces milieux, soit simplement parce qu'il s'est bien renseigné. Cela donne des interactions humaines plus profondes, plus fouillées, que dans des romans où on s'arrête à l'écume des choses, une starlette capricieuse, un metteur en scène génial et colérique, un producteur retors et véreux.
On peut bien sûr développer un jeu passionnant sur ces archétypes, mais si on les place tels quels dans une histoire sans les questionner ou sans prendre de recul, on aura des figures de carton pâte et non de vrais personnages attachants au final.

Donc sans même entrer dans des considérations de validation scientifique ou morale, chercher à construire un fond réaliste en bossant sa documentation, ça apporte simplement davantage d'incarnation, des personnages plus attachants et plus complexes, des points de vue plus singuliers et plus affirmés.

Et par ailleurs, ça me procure une excellente excuse pour dévaliser les rayons documentaires de mes librairies favorites, interroger des gens qui s'y connaissent, voyager quand je peux dans les lieux de mes histoires, et traîner des heures dans les musées ;)

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Ce mot de la fin qui fait détester cordialement Faulkner :lol:

Un épisode encore très complet, qui donne pas mal de pistes sans les imposer, en prenant bien soin de nuancer les choses, parce qu'on n'a pas tous le même rythme et la même façon de faire, et parce que ce n'est pas pareil d'écrire professionnellement à temps plein et de devoir dégager du temps à côté d'un autre métier.

J'y vais de mes quelques trucs que j'ai trouvés depuis quelques années que j'essaie d'écrire toutes les semaines à côté de mon boulot :

- Il vaut mieux séparer le temps qu'on passe à l'écriture proprement dite et le temps qu'on passe à chercher des éditeurs et à préparer des envois de manuscrits (mettre en forme le texte, rédiger des résumés et des lettres d'accompagnement, etc.). Parce que la recherche et la sollicitation des éditeurs prennent beaucoup de temps, mine de rien, et (chez moi en tout cas) c'est plus stressant que l'écriture. Avantage : une demi-heure de préparation d'envoi de manuscrit est plus facile à caser dans les interstices d'une semaine de travail qu'une séance d'écriture longue.

- Pour me reconcentrer chaque semaine en vue de ma journée d'écriture, je relis la veille au soir ce que j'ai écrit en dernier la semaine d'avant, et puis je dors. C'est tout bête, mais ça aide à me remettre à l'esprit ce que j'étais en train de faire et à commencer à me projeter dans la suite. "La nuit porte conseil", c'est très vrai.

- Entre chaque séance d'écriture proprement dite, noter de petites idées ou relire un peu ce qu'on a fait sont (à mon avis) des bons moyens de garder à l'esprit le texte en cours et d'éviter d'arriver une semaine après avec l'esprit complètement à autre chose à cause du travail à côté, des mille et un soucis et envies qu'on a éprouvés pendant le reste de la semaine, etc.

On dirait aussi que chacun a ses heures favorites. Ma malédiction, c'est que j'ai toujours été "du soir"... mais que je ne supporte plus les décalages de sommeil. Le matin, je peux me torturer autant que je veux, neuf fois sur dix, c'est très compliqué d'écrire. Par contre, après 17h, la journée m'appartient, et entre 22h et minuit je suis super efficace. Allez faire avec ça...

- Pour lancer la journée en douceur, écouter d'autres gens qui écrivent échanger leurs impressions, problèmes et idées dans Procrastination est bon pour le moral :)

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Préparer la veille ce sur quoi on va travailler au réveil, c'est une technique que j'utilise également. Il m'arrive par exemple d'écrire quelques lignes d'un début de chapitre avant de dormir, pour être lancée au matin :)

Et je suis aussi du soir (sauf au bord de l'océan), pour l'instant je supporte encore les décalages de sommeil, j'ai un peu peur que ça cesse un jour...

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Bonjour et merci pour ce podcast que j'ai découvert sur le tard. Je le binge-listen depuis quelques jours pour rattraper le train, saison 4 pour l'instant.

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L'une des questions qui me reste depuis que j'ai commencé à écrire est la notion d'easter egg dans la littérature (et la fantasy).

As you know, Bob, c'est un concept propre à l'informatique et aux jeux vidéoludiques, dont les créateurs vont venir placer ça et là, des références à d'autres jeux et à la culture populaire, souvent disposés dans des endroits dénués d'intérêts, difficiles à atteindre pour le joueur ou autrement dissimulés.

Je me demande dans quel mesure cela est-il possible en littérature. Bien sûr, je ne parle pas ici de l'aspect de cacher ou trouver l'œuf, mais bien d'en faire usage.

En d'autres termes, faire référence à la culture populaire et à d'autres œuvres dans un ouvrage littéraire serait-il plutôt bien ou mal vu ? Appeler l'un de mes personnages en hommage à une personne réelle ou un personnage fictif serait-il considéré comme ridicule dans un roman à priori sérieux ? Utiliser des phrases ou des thèmes propres à d'autres auteurs serait-il du plagiat ? Etc, etc.

Je ne sais pas si je parviens à exprimer mon interrogation correctement, mais je voulais connaître le ressenti du forum concernant ces questions. Avez-vous des exemples d'auteurs qui ont fait appel à ce genre de procédé pour rendre hommage à d'autres œuvres et créateurs, ou même simplement faire sourire leurs lecteurs ?

Merci d'avance pour votre retour !

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L'easter egg n'a en réalité pas inventé grand-chose : ce n'est qu'une forme récente d'intertextualité, pratique aussi vieille que la littérature :)

Quant à savoir si c'est bien ou mal vu, ça dépend beaucoup de la façon dont c'est amené et des goûts du lectorat. En ce qui me concerne, tant que ça n'est pas trop envahissant (donc que ça ne me "sort" pas de mon immersion dans l'univers de la fiction en cours), ça passe. Mais ça dépend aussi beaucoup du genre du texte. Un roman humoristique peut davantage se le permettre. Un récit d'anticipation imaginant un futur assez proche pour que des vestiges du présent subsistent pourra aussi utiliser des références à la culture actuelle. Etc.

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Même réponse que Tybalt, ça dépend beaucoup du contexte et du projet, tant que c'est bien amené et pas envahissant, et que ça ne sort effectivement pas le lecteur du récit, il n'y a aucun problème à glisser des clins d'œil. Ça peut même être un exercice littéraire en soi ; il me semble qu'il y en a beaucoup d'exemples, entre la série Anno Dracula de Kim Newman qui brasse des centaines de références parfois assez obscures, à des utilisations plus flagrantes de personnages célèbres, comme l'a fait par exemple Alan Moore dans La Ligue des gentlemen extraordinaires. Et je ne l'ai ni vu ni lu mais il me semble que Ready Player One joue sur ce terrain aussi. Sans parler de la multitude de textes qui utilisent des références à Lovecraft. La question qui se pose, pour moi, est vraiment celle de l'adéquation du type clin d'œil avec le projet. S'il amène un trop grand décalage dans un projet réaliste par ailleurs, ça peut être gênant. Mais si on est déjà dans quelque chose de décalé, on a sans doute davantage de marge.

Merci beaucoup pour ce retour en tout cas !

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Parfait !

Un grand merci de vos deux retours. Il va de soi que la question du genre, de la fréquence et de la subtilité des références va décider si oui ou non c'est approprié ou beaucoup trop décalé.

Merci à Mélanie pour vos exemples. Savoir que d'autres sont parvenu à le faire est déjà signe que la porte est ouverte !
Bonne continuation, hâte d'écouter la suite du podcast.

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Si on parle de shintoïsme, comme il n'y a vraiment pas de barrière/frontière entre "la physique" et "le spirituel", une éventuelle problématique influence de manière globale ces "aspects".

Si on fait bruler quelque chose et qu'on dissocie intellectuellement la fumée de la chaleur, cela a un sens pour fabriquer une chaudière. Mais "instinctivement" on raisonne pas comme cela.

On a pas besoin de connaître d'éventuelles règles pour avoir une influence sur différents domaines.

Un maître shinto, Motoshita Yamakage, a cette expression : "la science est la fille des instincts des ancêtres".

Après, l'intention artistique de Miyazaki pour Mononoke n'a jamais été "de faire de la Fantasy". Pour la simple raison qu'il ne raisonne pas en considérant que le surnaturel ajoute ou enlève quelque chose structurellement à un récit "réaliste".

Il permet, de son propre propos, de s'approcher d'un maximum de personnes dans un format contraignant, le cinéma.

Après, Mononoke est peut être le film le plus à part de la filmographie de Miyazaki, notamment pour son aspect violent/conflictuel. Il y a clairement une influence du "Sengoku-jidai geki" (trad. médiocre à la benedick :"film de conflit entre différents mondes sociaux") à la Kurosawa.

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Alors pour faire simple : La magie trop expliqué devient une magie trop rationalisée et à mon sens, cett magie devient une science. Personnellement, quand je lis de la fantasy s'il y a bien un truc dont j'ai horreur ce sont les systèmes de magies trop expliquées. Désolé mais je ne suis pas là pour jouer à un jeu vidéo ou un jeu de rôle. La magie, c'est de la magie. Je veux dur surnaturel, je veux que les héros soit dépassés par la magie. Tolkien n'a jamais rien expliqué sur la magie et même si rien n'est résolut par la magie, il utile des deux ex machina comme ce qu'i a appelé l'eucatastrophe (des héros sauvés in extremis genre la fameuse apparition des aigles, évènement tout aussi con qu'un tour de magie qui aiderait à se sortir d'un traquenard).

La magie trop détaillée (systèmes tout ça) finit justement par perdre en magie et je trouve cela très incohérent. L'exemple de Mélanie et ds mecs qui doivent ingérer un truc pour avoir le pouvoir : Ok , mais on peut expliquer autant qu'un veut comme fonctionne de la magie, le fait est que ça reste quand même de la magie. Au fond, justifier un pouvoir par le biais d'un truc à ingérer n'explique pas comment ça fonctionne. Là oui ok. Mais les sagas qui veulent faire de la magie un truc qui se rapproche finalement plus d'une science d'un monde de fantasy je ne vois pas trop l'intérêt.

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Personne n'est dupe de l'influence des JDR et des Jeux Vidéos pour les créateurs qui ont grandi à partir des années 70/80. :)

Je pense qu'il vaut mieux appréhender la règle de Sanderson comme "un système ludique efficace" plutôt que comme un "protocole scientifique applicable".

Parce qu'un bon système ludique te permet de t'amuser (parce que tu appréhendes/contrôles les notions de risques et de gains) mais aussi sait éviter d'être trop "présent". La magie du jeu disparait. Pour moi, en tout cas.

Et c'est un sacré travail de mettre en place quelque chose de ludique pour le lecteur tout en étant pertinent pour l'univers.:o

Après, je pense que faire naître la magie comme un artisanat marche toujours bien car cela combine le savoir-faire technique et l'inspiration intangible. (L'artisanat peut être un art martial, de la danse ou du dessin, etc...)

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Dakeyras a écrit :Tolkien n'a jamais rien expliqué sur la magie et même si rien n'est résolut par la magie, il utile des deux ex machina comme ce qu'i a appelé l'eucatastrophe (des héros sauvés in extremis genre la fameuse apparition des aigles, évènement tout aussi con qu'un tour de magie qui aiderait à se sortir d'un traquenard).

Une petite précision là-dessus : chez Tolkien, la magie consiste à modifier l'ordre naturel des choses. Il y a eu la création (ou plutôt, la Création par des puissances immortelles qui disposent du vrai pouvoir) de toutes choses ; et dans cette création, modifier les paramètres (comme allumer une brindille sans briquet), c'est de la magie.

Sauf que pour modifier les paramètres, c'est comme de changer un code informatique, c'est pas donné à tout le monde et pour les observateurs qui ne savent pas comment faire, c'est mystérieux et donc magique.

Les magiciens de Tolkien entrent dans la matrice de l'univers et modifient quelques lignes, mais à supposer que le dessein de la Création est une oeuvre divine, intervenir est pratiquement du sacrilège.

La question des aigles ou de Gollum est hors de la magie, ce sont divers intervenants, et dans un cadre de fond d'histoire qui fonctionnerait avec la cavalerie de Lucky Luke, au bon endroit au bon moment.