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Juillet 2020 : un entretien avec Fabien Cerutti
Par Gillossen, le vendredi 3 juillet 2020 à 07:15:00
Est-il encore besoin de présenter Fabien Cerutti en ces lieux ?
L'auteur du Bâtard de Kosigan revient en cette période post-confinement à son univers fétiche via un ouvrage original, Les Secrets du premier coffre. Pour l'occasion, et en attendant notre prochaine chronique, Fabien a gentiment accepté de répondre à quelques-unes de nos questions, au sujet de cette nouvelle parution, mais pas seulement ! Il est également fait mention, notamment, de la place de la fantasy ou de la rémunération des autrices et auteurs, entre autres sujets abordés.
Merci encore à lui !
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L'entretien
- Une question toute simple pour débuter, qu’est-ce qui vous a donné envie d’ouvrir ce coffre, si je puis le formuler ainsi ?
- On pourrait dire que j’ai trouvé la clef par hasard. :). Pour être plus spécifique, j’ai eu la chance d’être sollicité pour participer à trois des anthologies de l’excellent festival des Imaginales ce qui m’a amené à me lancer dans l’écriture de textes courts. Expérience à laquelle je n’avais pas songé initialement. Dès la première occasion, j’ai eu envie d’en profiter pour enrichir l’univers médiéval uchronique dans lequel je place ma série (avec les monarchies médiévales européennes, la chevalerie, une sorcellerie agonisante et des créatures anciennes pourchassées par l’Eglise). J’ai beaucoup apprécié ce type d’écriture, et comme la sollicitation m’avait amené à imaginer de nombreuses (trop nombreuses) pistes d’intrigues ou d’aventures, j’ai pris la décision de les réunir en trois coffres.
Celui-ci est le premier.
- À quoi s’attendre pour les fans de l’univers du Bâtard ?
- Le recueil s’adresse autant aux « fans » - si tant est que cette perle rare existe - qu’à ceux qui ne connaissent rien des tribulations du capitaine de mercenaire et espion, Pierre Cordwain de Kosigan (et s’en contrefichent).
Chaque texte a été conçu comme un véritable roman à part entière, avec une intrigue indépendante, des personnages uniques et attachants, des rebondissements et une tension dramatique réelle.
Chacun à son ambiance, entre récit de voyage, drame sentimental, science-fiction inversée (l’étude de civilisations avancées ayant existé dans l’antiquité lointaine), comédie d’aventure, espionnage, manipulations politiques et privées, etc.
Et pour ceux qui, effectivement, ont lu la série (ces gens, beaux, intelligents, charismatiques, supérieurement doués et de très bon goût) ; en lisant entre les lignes, ils pourront, non seulement enrichir l’univers (tout, sur la sexualité étrange et onirique des fées, par exemple), mais également découvrir de multiples secrets parallèles à l’intrigue du premier cycle. On soulève ainsi le voile sur les circonstances de la disparition des races anciennes de la surface de la Terre ; sur ce qui s’est réellement joué autour du lancement des Croisades noires ; et on peut glaner quelques indices sur l’origine pas si surnaturelle des pouvoirs du chevalier de Kosigan.
De quoi découvrir.
De quoi enrichir.
De quoi imaginer.
Et de quoi, je l’espère, prendre six bonnes doses de plaisir de lecture ! :)
- Puisque l’on parle d’un recueil… Que pensez-vous de l’exercice de la nouvelle ? Que vous apporte-t-il ?
- Alors, pour ma part, je ne pratique pas réellement l’art de la nouvelle à proprement parler. Plutôt le roman court. C’est un format intermédiaire que j’apprécie tout particulièrement : il allie une concision proche de celle des nouvelles (ce qui est un atout majeur dans cette époque où la concurrence des séries télés ou internet est énorme) ET la possibilité de fouiller les personnages, de concocter des intrigues complexes, de pratiquer plusieurs trames narratives, de jouer avec des événements divers sur une ligne de temps suffisamment longue pour être riche.
C’est un exercice qui m’a semblé à la fois agréable et aisé, et il m’apporte le plaisir (et la tranquillité d’esprit) de voir mûrir mon histoire rapidement, puisqu’elle grandit et parvient à maturité en à peine un ou deux mois.
- Quelles sont ses difficultés selon vous ?
- Je n’en vois pas beaucoup. Hormis, comme pour un roman, l’inspiration nécessaire pour inventer les retournements de situation et une fin intéressante.
- Avez-vous toujours aimé les nouvelles ? Certains textes courts vous ont-ils marqué dans votre parcours de lecteur ?
- Je dois bien reconnaître que je n’aimais guère les nouvelles jusqu’à une date récente. J’ai bien lu du Maupassant, et j’ai même apprécié, mais cela avait, à mes yeux, un goût d’inachevé. Je trouvais que dans les nouvelles, le twist final, aussi surprenant soit-il, n’était en définitive qu’une pirouette, amusante ou édifiante certes, mais pas suffisamment pour compenser une histoire moins riche que celle d’un roman.
D’où cette envie de tenter plutôt un genre intermédiaire.
En tout cas, il y a peu, j’ai goûté à deux recueils de textes courts qui m’ont paru bien plus plaisants que les nouvelles de mes souvenirs de jeunesse : Janua Vera de Jean-Philippe Jaworski ou dans un genre très différent Célestopol, d’un certain Emmanuel Chastellière ;). J’ai aussi lu, Ce qui vient la nuit, de Mathieu Rivero, Julien Bétan et Melchior Ascaride.
Je pense qu’il serait intéressant en ce début de XXIème siècle de valoriser ce type de récits, dont la nature correspond parfaitement à nos vies trépidantes.
- Ces derniers mois, outre la crise de la covid-19, il y a beaucoup d’agitation concernant la rémunération des auteurs, leur protection sociale. Quel est votre avis sur le sujet ?
- Les auteurs (à part les rares qui vendent des centaines de milliers de livres) sont en général bien plus mal payés qu’un ouvrier chinois (rapporté à l’heure). C’est malheureux mais c’est une réalité. Cet état de fait est dû à une accumulation par strates : les auteurs qui ont émergés il y a 40 ans écrivent encore et c’est tant mieux, et légitime. Mais d’année en année de nouveaux écrivains émergent et c’est tout aussi légitime. La situation est la même côté éditeurs : les maisons d’éditions sont de plus en plus nombreuses et peut-on blâmer les jeunes de vouloir se lancer et tenter leur chance ?
Face à cela, les lecteurs sont de moins en moins nombreux. La concurrence de loisirs plus rapides, plus immédiat, plus adaptés à une vie à cent à l’heure érode leur nombre. Attention, ceux qui regardent le doigt plutôt que la lune diront que l’on vend encore énormément de livres, plus qu’avant même, dans telle ou telle branche. Mais il s’agit malheureusement d’une illusion, ce que l’on vend souvent ce sont des cadeaux qui ne quitteront jamais l’étagère.
La seule bonne solution (bien utopique) serait une coalition de toutes les maisons d’édition tous genres confondus, avec un partenariat avec les Ministères de la culture et de l’éducation nationale, en faveur de la lecture. Le fait de lire. Avec des campagnes médiatiques télés, radios et internet et pour leitmotiv les multiples bienfaits de la cette activité hautement salutaire et agréable. Un bon communicant s’en donnerait à cœur-joie (éducation, pacification sociale, santé, plaisirs multiples, temporalité différente etc.) « Lisez trois nouvelles ou romans par saison ! », par exemple (oui, je sais, je ne suis pas un bon communicant). Le but ? Ramener à la lecture ceux parmi les adultes qui l’apprécient mais s’en sont détourné. Redonner à cette activité une image jeune pour que les ados de 15 ans ne regardent pas cela comme une activité has-been.
Reconquérir les lecteurs, voilà quelle devrait être la priorité absolue de notre secteur d’activité, et tout le monde aurait à y gagner. Énormément.
Quant à la rémunération des auteurs, je milite pour 10 % de droits d’auteurs minimum sur les livres papier (et lorsque le succès est au rendez-vous, un partage qui devrait atteindre moitié-moitié de ce qui reste une fois les autres intervenants de la chaîne du livre payés, entre l’auteur et l’éditeur). Je suis aussi favorable au remplacement de l’à-valoir par une somme identique, versée pour le travail effectué et le temps passé. Ces honoraires ne seraient donc pas défalqués des droits d’auteur au moment de la vente du livre.
Cela, me semble-t-il, serait juste.
(Plus concrètement, je travaille entre 1000 et 1200 heures pour un livre, combien d’heures y passent les autres intervenants ? Qu’est-ce qui justifie que je sois (et de très loin) le moins bien rémunéré de tous ?
Je comprends bien qu’il y a des « équilibres », qu’il faut assurer le bon fonctionnement général, mais tout de même.)
Quant à la protection sociale, j’apprécierais qu’elle soit cumulative (en ce qui concerne les retraites) avec celle d’un autre emploi. Je trouve assez étrange de payer des charges sociales sans en bénéficier le moins du monde, et gagner quelques semaines ou qui sait quelques mois, en fin d’activité serait fort appréciable.
- De même, on entend encore que la fantasy française ne se vend pas ou mal, mais peu d’autrices/auteurs sont vraiment mis en avant, au point qu’il est encore courant de présenter la fantasy avec les seuls Hobb ou Martin, autrement dit des références anglo-saxonnes déjà très connues.
- Je n’ai pas les chiffres qui permettraient de comparer, mais sans doute la littérature imaginaire française mériterait-elle de se vendre mieux. En termes de talent, de ce que je peux lire en France, je ne vois pas de différence de « niveau » (si tant est qu’on puisse parler de la sorte), avec les auteurs anglo-saxons.
En fait la chose est assez simple : dans le monde anglo-saxon la littérature imaginaire a pignon sur rue et elle est relativement bien vue, cela a contribué à faire émerger des dizaines voire des centaines d’auteurs reconnus.
En France, elle est regardée avec un léger dédain par une grande partie des élites intellectuelles qui l’opposent trop souvent à la « vraie littérature ».
Les choses changent peu à peu (à mesure que des générations plus récentes parviennent aux postes de pouvoir dans les médias, la culture etc.), mais il faudra encore une petite décennie - à vue de pouvoir extra-sensoriel - pour que le retournement ait lieu.
Déjà des projets de séries télés basées sur des histoires de Pierre Pevel ou de Jean-Philippe Jaworski sont en projet. Et n’oublions pas que le Trône de Fer n’était pas le succès que l’on connait avant d’avoir été médiatisé de la sorte.
Le tout c’est que la qualité soit au rendez-vous pour ces pionniers. Si tel est le cas, on peut parier que d’autres portes s’ouvriront.
- Avec quelques années de recul maintenant, quels conseils donneriez-vous au fringant Fabien Cerutti s’apprêtant à vivre la sortie de son premier roman ?
- Ne t’emballe pas mon garçon ! Tu crois avoir réussi ? Ce n’est que le début ! Il faudra redoubler d’effort et tenir sur le long terme. Bref, j’espère que tu aimes écrire, parce que tu vas souffrir ! (Mais il y aura aussi de chouettes moments et le milieu de la littérature imaginaire est un milieu très sympa. Je t’ai parlé des Imaginales ?...)
- Enfin, auriez-vous un dernier mot à l’attention de nos lecteurs, avant cet été 2020 quelque peu particulier ?
- En période de confinement, videz vos piles-à-lire ; en période de déconfinement, remplumez-les et videz-les aussi ! :)
(Et tentez ce hors-série, tant qu’à faire, je serais vraiment surpris que vous ne trouviez pas histoire à votre goût.) :)
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière
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