A Dance with Dragons fait partie de ces romans hors-normes  qui défraient la chronique et créent un véritable feuilleton autour de  leur sortie des mois (des années ?) à l'avance, y compris en dehors du  seul cercle des fans de fantasy, du moins, outre-Atlantique (merci HBO).  Le genre de roman phénomène dont on suit l'arrivée de l'illustration de  couverture, dont on décortique le synopsis, dont on connaît le tirage  précis, dont on traque les premières chroniques sur la toile... 
Évidemment,  un an après sa publication estivale en 2011, l'engouement n'est plus  forcément tout à fait le même. Pour tout vous dire, dévoré l'été  dernier, le roman aurait pu rejoindre nos colonnes depuis longtemps. Et  puis, une chose en entraînant une autre... Bref. Cette analyse à froid  nous permettra, peut-être, d'afficher un peu plus de recul. Éreinté par  une frange de son lectorat, l'auteur a su résister à la pression pour  mieux dominer les listes de best-sellers. Mais nous ne sommes pas là  pour juger des conditions d'écriture d'un roman ou de sa réussite  commerciale.
Brocardé pour un A Feast for Crows longuet  et privé de nombreux personnages favoris des fans, George R.R. Martin  a-t-il repris les rênes de son récit ? Oui et non. Une fois encore, la  structure de son roman représente un léger handicap au moment d'aborder  certains passages. Ainsi, on ne peut pas dire que l'intrigue globale du  cycle ait au final réellement avancé au bout de 1000 nouvelles pages.  Mais pouvait-on vraiment s'y attendre, étant donné les caractéristiques  chronologiques de ce tome 5 ? L'auteur se rattrape en faisant intervenir  les personnages préférés de bon nombre de ses lecteurs, avec en premier  lieu Jon Snow ou Tyrion Lannister. C'est d'ailleurs avant tout le  destin du premier qui donne l'impression cette fois que Martin cède au  cliffhanger pour le plaisir du cliffhanger en lui-même. Un schéma qui  fonctionne parfaitement entre deux saisons d'une série TV mais qui  commence à sentir le réchauffé dans le cas présent, nonobstant l'attente  qui devrait nous séparer de The Winds of Winter, espéré au mieux pour 2014.
Porteur d'attentes démultipliées par le succès de Game of Thrones et l'écho qu'offre la toile aux moindres desiderata des fans, A Dance with Dragons ne pouvait dès lors que décevoir, comme à chaque fois qu'un roman à  paraître est considéré comme le messie de la fantasy. Oui et non là  encore. Ce cinquième tome fait preuve d'un souffle qui renoue dans ses  meilleurs passages avec la brutalité crasse de A Storm of Swords,  mais pèche une nouvelle fois par des longueurs inutiles et la  propension de Martin à décrire de plus en plus de choses au détriment de  la place accordée à l'imagination des lecteurs. Cela étant, nous n'en  sommes pas non plus aux descriptions de robes et de tissus façon Robert Jordan,  encore que. Dans le même temps, Martin accentue encore la dimension  fantasy de son cycle, avec des personnages comme Ser Robert Strong ou  l'intervention de Three-eyed Crow.
Et c'est bien l'univers de Westeros qui fait le sel de ce tome, de même que son casting. Sur le fond, A Dance with Dragons reste la seconde moitié de A Feast for Crows, avec tout ce que cela implique de statu quo et de surplace, plutôt que le prolongement naturel de A Song of Ice and Fire.  Fatalement, les pièces continuent de se mettre en place sur cet  échiquier où chaque tour peut s'avérer mortel et les destins parallèles  de Daenerys et Jon Snow illustrent bien les choix que chacun peut faire  selon sa nature, mais surtout leurs conséquences. Placés devant des  dilemmes similaires, ce sont bien leurs actes qui vont peser sur  l'avenir de ces terres. Mais le procédé illustre également un changement  de fusil d'épaule chez Martin : désormais, ce ne sont plus des  évènements dramatiques, qui ne manquent pas pour autant, qui se révèlent  à l'origine de l'évolution de tel ou tel personnage. Ici, ceux-ci  évoluent peu à peu, au gré de questionnements intérieurs qui sont  généralement bien menés mais pourront lasser. Martin n'est en effet pas  avare de répétitions soulignant son propos de façon parfois inutile.
Difficile  de ne pas devoir composer avec quelques scories avec un roman aussi  énorme, dans tous les sens du terme. Des scories bien présentes.  Personne n'affirmera que Martin a livré là un roman "définitif" ou  redéfinissant le genre à lui tout seul, ne serait-ce que par sa nature  de volume intermédiaire. Pour les fans (relativement) attentifs, A Dance with Dragons n'aura pas apporté de surprises renversantes ou de révélations  fracassantes, devenues ces dernières années les enjeux de tant de débats  sur la toile. Mais ce ne sont pas les théories et les suppositions des  lecteurs que l'on retrouve dans le roman, c'est bien la prose de Martin  et l'histoire qu'il a décidé de nous conter. 
Et les forces vives de  Martin sont toujours évidentes : sa façon de poser une ambiance, son  sens des dialogues, ses développements sans concession... Désormais  libéré de son fameux "meereenese knot", on peut espérer que l'auteur  retrouve son second souffle en même temps que sa vitesse de croisière.  On aurait apprécié quelques conclusions (temporaires) de plus, un peu  plus de liant, voire d'allant, un rythme mieux maîtrisé mais surtout  plus soutenu. En somme, tout ce qui a également contribué au succès du Trône de fer par le passé. Par moments, notamment dans la première moitié du livre, nous n'en sommes vraiment pas loin...
Au final, que retenir de A Dance with Dragons ? Une chose est sûre, on ne tombera pas dans le piège du "grand roman  malade". Ce cinquième tome n'est ni un grand roman, ni malade. C'est un  cinquième tome, tout simplement, parfois frustrant, souvent emballant, à  la fois solide et fragile. On râle en songeant à son potentiel, en se  disant que Martin se repose tout de même un peu trop sur ses personnages  charismatiques et un univers âpre que l'on a appris à aimer. On savoure  certains chapitres parmi les plus enlevés du cycle, on salive en  songeant à ce qui nous attend par la suite... 
Car le frisson est  toujours là, malgré quelques doutes. Et tant que l'on ne s'interrogera  pas sur le destin d'un tel ou d'un tel par pure politesse, mais bien  parce que le sort du personnage en question nous intéresse sincèrement,  Martin aura encore de la marge. Espérons simplement qu'il ne se contente  pas d'un capital sympathie hérité des "épisodes précédents", pour  poursuivre le parallèle avec la déclinaison télévisée de son cycle. 
Les  attentes étaient parmi les plus élevées qui soient depuis longtemps et  l'auteur a fait de son mieux pour les combler. Souvent avec un vrai  talent - l'arc de Reek... - et parfois en cédant à la facilité. Si le  roman n'atteint donc pas les sommets passés du cycle, il reste fort  agréable à lire et rebat suffisamment les cartes pour laisser penser que  les deux (trois ?) derniers volumes repartiront du bon pied vers de  nouvelles hauteurs afin de signer le final que l'on est en droit  d'attendre d'un écrivain aussi expérimenté et passionné qu'un George  R.R. Martin.   
A Dance with Dragons navigue tout de même bien loin du tout-venant de la fantasy épique.
                                                                                            — Gillossen