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The Dragon Waiting

Pas de couverture

Résumé

Dans une Europe fragilisée par la Guerre des Deux Roses, les complots sont légion. 
L'Empire byzantin, plus puissant que jamais, place patiemment ses pions... À première vue, un magicien gallois, une médecin florentine, un mercenaire gaulois et un vampire n'ont aucune raison de cheminer ensemble mais, en ces temps troublés, les plus improbables alliances peuvent se nouer. Des Alpes au pays de Galles, Hywel, Cynthia, Dimitrios et Gregory n'hésiteront pas à se battre et à intriguer pour installer le duc de Gloucester sur le trône d'Angleterre... quitte à tout perdre.

Caractéristiques

Auteur(s): John M. Ford
Traducteur(s): Thibaud Eliroff
Type: Roman
ISBN: 9782756435329
Titre original: The Dragon Waiting

Chronique

Imaginez une Europe du XVe siècle où l'Empire romain d’Orient ne s’est jamais effondré (mais sans Christianisme), où les guerres d'Angleterre se jouent dans l’ombre des Byzantins et où la magie, discrète mais tout à fait réelle, s'insinue dans les coulisses du pouvoir, qu'il soit question de la destinée des empires ou d'un simple petit domaine.
C’est dans ce monde que se croisent quatre personnages avec chacun un parcours bien particulier. Ils vont se trouver entraînés dans les rets d'une intrigue où diplomatie, foi et trahison s'entremêlent, sur fond de guerre des Deux-Roses.
John M. Ford ne s’intéresse pas tant à "réécrire" l’Histoire qu'à montrer ce qu'il en reste quand les mythes sont laissés à l'abandon : la ruse, la loyauté, la solitude. Et si Richard de Gloucester (soit Richard III, bien sûr) y apparaît, il n'occupe pas tant le devant de la scène, rappelant surtout que les "héros" sont rarement ceux que l'on croit.
On comprend aisément pourquoi The Dragon Waiting (récompensé du World Fantasy Award 1984 du meilleur roman) a acquis, au fil du temps, le statut souvent dévoyé de livre culte, et pourquoi sa réédition en 2020 chez Tor Books, avait été saluée comme un petit événement. Aujourd'hui, le voilà enfin disponible en français pour la toute première fois - ceci n'est pas une réédition - grâce au label Calix.
Ford déroule une uchronie d'une rigueur intellectuelle impressionnante dans sa réflexion d'ensemble, mais surtout une œuvre profondément littéraire, où pas grand-chose n’est expliqué frontalement. Et c'est tant mieux ! Quel plaisir de ne pas se retrouver face à une histoire prémâchée où tout est surligné. Les repères historiques surgissent au détour d’un dialogue ; la magie, rare et feutrée, agit comme une métaphore du pouvoir ou du secret.
L'auteur malheureusement décédé en 2006 se distingue aussi par la manière dont il construit ses personnages. Ils ne sont jamais là pour servir une thèse ou une époque : ils existent, tout simplement, adultes pétris de contradictions, hantés par ce qu'ils ont perdu ou ce qu'ils convoitent. Leurs trajectoires se croisent et s'effleurent, et certaines destinées attendues ne se concrétisent jamais (qui sait ce qu'un autre aurait fait du personnage du jeune Dimitrios après son premier chapitre ?).
La prose de Ford, dense et parfois elliptique, va de pair avec une lecture attentive, qui demande tout de même un minimum d'efforts de la part du lecteur, comme le mentionne d'ailleurs Lynch dans sa préface. Chaque chapitre fonctionne à la façon des tesselles d'une mosaïque épique, et c’est seulement à la fin que l’image complète se révèle. Certains lecteurs pourront trouver l’entrée en matière abrupte, et il faut accepter de ne pas tout comprendre sur le moment, mais cette exigence est aussi la clef de la récompense.
Car on chemine lentement sur les sentes de The Dragon Waiting, comme dans une ville ancienne nous livrant peu à peu ses ruelles cachées. Ford démontre sans coup férir que la fantasy peut se passer de flamboyance et de phases d'exposition maladive (ce qui n'empêche pas quelques jolies envolées) pour préférer l’ambiguïté, la suggestion, et la beauté d’un monde à demi effacé. J'aurais moi-même aimé faire un crochet par cette légendaire Byzance (l'histoire penche tout de même très vite vers l'Angleterre) et le milieu du roman patine peut-être un peu côté rythme. 
Rien qui puisse toutefois nous retenir de qualifier cette œuvre subtile de roman s’impose comme l’un de ces livres qui vous prouvent, s'il en était besoin, que l'on peut concilier plaisir de lecture et rigueur. Derrière son vernis d’uchronie travaillée dans ses moindres détails, ce qui est le cas, c’est un roman profondément humain, traversé par des thèmes qui font mouche, que ce soit la mélancolie et la cruauté du pouvoir ou la fidélité aux causes perdues.
Voilà un texte rare, d’une élégance froide et d’une intelligence lumineuse, parfait pour le Mois de l'Imaginaire.


Gillossen