Treizième livre des annales du Disque-monde, Les petits dieux est un des rares romans isolés du cycle. Centré sur Omnia et Ephèse, l'ouvrage a pour point de départ Frangin, novice de son état, spécialiste du binage des melons et surtout garçon à la mémoire infaillible et à la foi du charbonnier bien ancrée au service du grand dieu Omn. Omn. Divinité unique et tutélaire d'Omnia. Taureau blanc piétinant les infidèles sous des sabots de fer ardent. Mais surtout divinité réduite à parcourir la région de laitue en laitue sous les traits contraints d'une petite tortue borgne. La présence du dieu furibond et colérique dans le corps d'un reptile impuissant et cynique ayant une peur panique -et fort compréhensible- des aigles est d'ailleurs un des points forts du récit.
A travers ce roman, et comme l'indique son titre, Pratchett s'attaque avec une certaine jubilation à la question des religions, de l'existence même des dieux, de leur apparition et de leur fin sous un angle qui n'est pas sans rappeler celui que son comparse Neil Gaiman développera près de dix ans plus tard dans American Gods. Les mésaventures de Frangin et de son dieu-tortue permettent ici à l'auteur d'effectuer une critique frontale des Eglises en attaquant avec un humour mordant les questions du dogmatisme, de la révélation, des prophètes, de l'inquisition, de l'obscurantisme, de la foi ou encore de la philosophie en développant la parodie des penseurs Grecs abordée rapidement dans Pyramides.
Bien qu'ayant parfois quelques baisses de rythme, l'ensemble fait mouche, servi par des personnages dont la nature même permet à l'auteur de développer ces thèmes sans faire preuve de lourdeur. L'opposition, la confrontation entre la foi, bien isolée et sincère, du novice Frangin, le cynisme du dieu Omn voyant le monde sous un nouvel œil et les calculs de Vorbis, froid exquisiteur détruisant son dieu en croyant protéger sa religion, s'avère particulièrement réussie. Servant à merveille le propos du roman il n'est pas surprenant qu'ils ne réapparaissent plus par la suite.
Les petits dieux constituent donc un ouvrage particulier au sein du cycle et de tous est probablement celui que l'on peut le plus facilement conseiller comme lecture à part, se suffisant à elle-même. Un roman permettant tout à la fois d'apprécier l'humour de l'auteur et de comprendre que Pratchett était avant tout, comme l'indiquait ses proches, un homme en colère, se servant de la fantasy pour aborder de nombreux sujets.
— K