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Construire un monde de fantasy épique

Par Groumfy, le dimanche 3 février 2013 à 11:56:57

CréationUn essai de Saladin Ahmed, à retrouver ci-dessous traduit pour vous.
Dans cet article, l'auteur de The Throne of the Crescent Moon s'interroge sur les notions de créations d'univers en fantasy, et plus particulièrement en fantasy épique, leurs limites et leurs exigences, et comment un univers créé de toutes pièces peut se révéler fascinant pour des millions de lecteurs.
Et vous, quelle place accordez-vous aux univers dans lesquels prennent place vos histoires préférées ?

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L'article traduit

Il y a bien longtemps, "épique" était un gros mot.

Dans les années 80, quand j'étais un jeune nerd grandissant dans le Midwest - bien avant que je devienne un écrivain professionnel - il n'existait pas vraiment de marché pour les histoires d'anneaux magiques et les chroniques de fléaux oubliés. En effet, parler publiquement de son érudition concernant les noms des épées elfiques et des légendes orques revenait à être considéré comme un lépreux.

Mais il semblerait que ce temps soit révolu. Ces dernières années, la culture américaine est tombée amoureuse de la fantasy épique. Les adaptations cinématographiques des romans de la Terre du Milieu de J.R.R. Tolkien ont rapporté plus de 3 milliards de dollars ; des dizaines de millions de téléspectateurs se sont rassemblés devant Game of Thrones, l'adaptation de HBO de la saga de George R.R. Martin, Le Trône de Fer ; et la semaine prochaine, le tome final de la saga La Roue du Temps de feu Robert Jordan sera très certainement classé n°1 des ventes sur la liste des best-sellers du New York Times, dès sa sortie. Qu'est-ce qui attire des millions de lecteurs et spectateurs vers ces œuvres ? Évidemment, les cohortes de personnages fascinants et leurs tourments, les intrigues complexes et les rebondissements chaotiques n'y sont pas étrangers, pourtant on retrouve ces thèmes dans d'autres genres. Alors pourquoi cet engouement pour la fantasy ?

Il y a quelques années, j'ai eu la chance d'assister à une conférence informelle pour jeunes auteurs de fantasy donnée par l'homme que le Time a surnommé le Tolkien Américain, le maintenant très célèbre Martin. Le maître grisonnant décrivit les premiers temps de la Tolkien-mania à notre assemblée de newbies aux yeux écarquillés. Quand des étudiants et des hippies ont commencé à afficher des posters du Seigneur des Anneaux, nous fit remarquer Martin, ce n'était pas les couvertures des livres ni des portraits de Frodon, mais bien des cartes de la Terre du Milieu.

Autrement dit, plus que pour les leçons sur l'influence corruptrice du pouvoir, que l'exaltation des scènes de bataille, que les personnages bien-aimés comme Frodon ou Sam, les lecteurs se tournaient vers Tolkien pour le monde riche et magique qu'ils se construisaient grâce à ses mots.
Martin a pris cette leçon à cœur dans son œuvre ; ainsi l'ont fait certains de ses contemporains les plus célèbres, comme feu M. Jordan, qui entraînait ses fans dans des mondes construits tout aussi élaborés que celui de Tolkien. Et les lecteurs, il semblerait, en redemandent. En effet, pour de nombreux auteurs et lecteurs, la construction de monde (world-building) est l'essence même de notre genre littéraire.
Grosso modo, le world-bulding est la tentative de décrire un monde inventé et fantastique en cataloguant son histoire, sa géographie, langues, religions, économie, etc. Le but étant de pousser le lecteur vers cet état de «suspension consentie de l'incrédulité» (willing suspension of disbelief) dont parlait Coleridge, à l'aide d'une accumulation de détails narratifs. En conséquence, les auteurs et lecteurs se retrouvent à poser et à répondre à des questions très variées, allant de Est-ce que ce monde a un/des Dieu(x) ? à Possède-t-il un concept de Bien et de Mal ?, en passant par 'A quelle vitesse vont les bateaux ? et En quoi sont faits les pagnes des orques ?

Bien entendu, tous les écrivains et lecteurs du genre ne s'intéressent pas à cette idée de représentation réaliste et de détails triviaux. Certains auteurs de fantasy, parmi les plus talentueux, et innovateurs de ces dernières années, ont critiqué le fétichisme du world-building dans le genre. Comment est-il possible de cartographier chaque recoin d'un lieu qui n'existe pas ? s'est demandé China Mieville, romancier britannique reconnu, Pourquoi vouloir le faire ?. Mr John Harrison, qui est l'un des écrivains contemporains de fantasy les plus inventifs, suscita de sacrés remous il y a quelques années par son scepticisme à l'égard du profil type du world-builder, lorsqu'il accusait le world-building d'être le gros sabot du nerd.


Même parmi les auteurs et les lecteurs qui conviennent de l'importance du world-builing, il existe de grands désaccords sur la façon de bien s'y prendre. Des milliers d'articles de blogs ont été publiés débattant à propos de la quantité de détails qui devrait être révélée au lecteur. La série La Roue du Temps de Jordan, en particulier, est constamment parodiée, même parmi les fans inconditionnels, pour ses descriptions acharnées de vêtements, coupes de cheveux, mobiliers et nourritures. Et Martin peut remplir des pages et des pages de description des armoiries de chaque invité à un banquet royal. Au lecteur familiarisé avec les protocoles de la fiction littéraire, un roman qui se présente avec glossaires et appendices peut donner une vive impression de devoir scolaire.

Mais sous sa meilleure forme, un ouvrage qui favorise le world-building procure des plaisirs impossibles à retrouver dans d'autres sortes de littérature ; la joie de voyager vers, comme l'a dit Tolkien, un monde secondaire dans lequel l'esprit peut pénétrer. Le type d’immersion que procure un vaste monde construit est unique, et donne presque la sensation physique de se perdre dans un lieu qui n'est pas chez soi, mais qui finit par le devenir, la sensation de marcher, voire danser sur la corde raide qui sépare le fantastique du monde réel. Comme dans les Mille et Une Nuits, qui mentionnent si souvent, certes sans grande subtilité, des détails du genre quel légume a été rapporté du marché ou le nom du monarque au pouvoir au moment de l'histoire, le fait que la littérature fantasy moderne se rattache au world-building lui donne une force d'attraction que ne possède pas, par exemple, le conte de fée.
Pareil à un jeu de train électrique de la taille d'un terrain de football, ou un village miniature de maisons de poupée, un monde fantastique bien construit nous émerveille par son immensité et sa complexité et, fait de tout ce bois, peinture, tissu, métal et des heures et des heures de travail de nerd minutieux, une sorte de magie est créée.

L'article originel.


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