Commençons par la question qui fâche ou qui au contraire paraît certaines fois bien superflue : Mr. Penumbra's 24-Hour Bookstore est-il un roman de fantasy ou pas ?
Au fond, peu importe. Il en reprend en tout cas de nombreux codes et il semble évident que Robin Sloan soit lui-même un amoureux du genre. Entre les nombreuses allusions à un cycle de fantasy épique dont le personnage principal reste fan, les souvenirs tirés de moult parties de jeu de rôle qui serviront même à façonner l'intrigue proprement dite, avec notamment plusieurs archétypes de personnages, sans parler des mystères proprement dits entourant cette drôle de librairie et le culte que l'on découvre rapidement et qui va pousser nos héros à chercher une réponse qui pourrait bien concerner la vie éternelle, les niveaux de lecture sont nombreux.
Ils vont en tout cas bien au-delà du simple clin d’œil, d’un coup de coude complice adressé au lecteur pour lui signifier, “Hé, vous avez vu, je connais mes classiques, c’est à vous que je m’adresse !”. Même chose lorsqu’il aborde des domaines comme l’informatique et autres dérivés, là encore de façon très ancrée dans le réel et gentiment barrée. Non, l’auteur nous propose une véritable intrigue bourrée d’humour et menée tambour battant, après quelques chapitres de mise en place qui nous plonge tout de suite dans l’ambiance pince-sans-rire qui sera de mise tout au long de cette aventure.
Le roman réussit même à se faire fascinant et pas seulement du fait du nombre de fois où le nom de “Google” se retrouve cité (le personnage féminin principal, Kat, travaillant chez Google et faisant office de “magicienne” du groupe) ! Car Robin Sloan aborde également des thématiques d’actualité, comme la numérisation des livres, les moyens à notre disposition pour perpétuer le savoir, l’évolution irrémédiable des supports concernés… Finalement, la quête de l’immortalité n’est peut-être pas qu’un leurre, mais c’est un MacGuffin comme un autre, qui plus est utilisé à bon escient par l’auteur, une fois encore. Un auteur qui n’oublie pas les à-côtés, développant par exemple le parcours personnel de son “héros”, auquel on s’attache rapidement.
Alors, bien entendu, tout n’est pas parfait : l’atmosphère légère du roman permet de faire oublier quelques grosses ficelles - tout le monde n’a pas un meilleur ami disposant d’un jet privé -, mais il faut signaler que malgré l’aspect enquête du roman, l’auteur ne cherche jamais à se montrer plus malin que son lecteur, tout en parvenant à le surprendre de temps en temps.
Si l’on devait pointer du doigt une fausse note, et encore, ce serait la fin du roman, du moins, le dénouement du “mystère mystérieux” au cœur de l’intrigue et qui nous a donné envie de suivre cette drôle de petite bande aux seconds rôles savoureux. Sans aller bien sûr jusqu’à un “tout ça pour ça” de mauvais augure dans la perspective de vous donner envie de découvrir ce livre, disons simplement qu’il y a un petit goût d’inachevé.
Pour le reste, c’est donc un quasi sans faute, pour peu que l’on se montre sensible au ton du roman. Un roman signé en tout cas par un amoureux des livres mais surtout des histoires et des témoignages que ceux-ci nous offrent, quelle que soit l’interface avec laquelle le lecteur doit composer.
Il y a de la magie dans ce “petit” livre, même si ce n’est pas forcément celle à laquelle Clay et ses amis pensaient en faisant rouler des dés autour d’une table au moment d’affronter un dragon.
Mais elle est bel et bien présente. Comme souvent quand on rencontre une bonne histoire, non ?
Mise à jour du 7 février 2014 : le roman vient de sortir en français chez Michel Lafon.
— Gillossen