Transition éditoriale, renaissance, place du style en fantasy et évolution des lectrices et lecteurs… 
Pour accompagner son arrivée au Diable Vauvert et la ressortie des Sentiers des Astres, Stefan Platteau revient avec nous sur la fin des Moutons Électriques, sur sa vision littéraire et sur le long chemin d’écriture qui l’attend encore. Un joli moment pour parler fond et forme, lyrisme, défis du métier et promesses d’horizons futurs.
La disparition des Moutons Électriques a marqué la fin d’un chapitre pour vos lecteurs et pour beaucoup d’autrices et d’auteurs publiés par cette maison. Comment avez-vous vécu cette disparition, et la transition vers votre nouvel éditeur ?
On ne peut pas dire que ça m’a pris par surprise. Chez les Moutons, j’avais déjà connu précédemment des problèmes de trésorerie immobilisant mes droits pendant de longues périodes (ce qui peut être assez inconfortable pour un auteur ) ; et la situation durant l’année 2024, telle que je la vivais de l’intérieur, ne me laissait guère d’espoir quant à l’avenir de la maison, ce qui m’a permis d’anticiper un peu… André-François Ruaud a eu la correction de me rendre mes droits à temps, ce qui m’a évité de les voir immobilisés dans une longue procédure de sauvegarde. Au final, je subis, bien sûr, des pertes, mais j’ai pu rebondir rapidement, et au vu des difficultés des dernières années, c’est une forme de libération qui me permet d’envisager l’avenir plus sereinement. Je suis néanmoins triste pour les Moutons électriques, qui avaient une place particulière dans le paysage des SFFF, pour l’équipe éditoriale qui s’est donnée jusqu’au bout, et bien sûr, pour les autres auteurs de la maison, dont certains ont subi des préjudices bien plus grands que le mien. Avis aux éditeurs : il reste parmi eux de très belles plumes qui n’ont pas encore trouvé repreneur, et qui méritent largement qu’on s’y intéresse !
Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre Au Diable Vauvert pour poursuivre Les Sentiers des Astres ?
Je suis chanceux : j’ai eu l’embarras du choix pour le repreneur, et parmi ces choix, plusieurs propositions émanant de maisons d’édition dont j’admire le travail depuis longtemps, et dont l’équipe compte en son sein des gens que j’apprécie énormément sur le plan humain. Chacune d’entre elles aurait pu me rendre heureux ! Mais il fallait bien poser un choix. Le Diable Vauvert avait été la première à me signifier qu’elle m’ouvrirait les bras au cas où je me retrouvais sans éditeur : ils avaient une longueur d’avance. Ils me proposaient une réédition en grand format de la saga, avec une énergie et des moyens qui donnent à réfléchir – il y a quelque chose de presque frénétique dans leur façon de défendre leurs auteurs, une ardeur, une passion partagée qui ne laissent pas indifférent ! Un bel esprit d’équipe aussi, qui fait que l’on se sent porté par un collectif, et un sens de la prise de risque. Et puis, il y avait aussi une cohérence littéraire à me retrouver en compagnie de plumes telles que Patrick K. Dewdney ou Justine Niogret, avec lesquelles je partage une approche à la fois très littéraire, empreinte de réalisme et souvent sans concession de la Fantasy.
Il s’agit aussi de « relancer » la saga, avec la ressortie des premiers tomes ce mois-ci. Comment comptez-vous toucher de nouveaux lecteurs dans cette aventure éditoriale ?
Lentement mais sûrement ! Au vu de la coexistence d’une édition poche, dont les ventes annuelles restent constantes depuis dix ans, il ne faut pas s’attendre à de gros chiffres en grand format sur le court terme. Néanmoins, la nouvelle édition est absolument magnifique, grâce notamment au travail de Nicolas Fructus (qui est un lecteur de la saga et m’avait déjà glissé qu’il aimerait illustrer mon univers si l’occasion s’en présentait. Et comme j’ai toujours admiré sa patte…). Le travail de surdiffusion du Diable devrait lui permettre de s’installer dans des librairies qui ignoraient mon travail jusque-là. Le Diable Vauvert vise la présence dans le fonds des libraires et la défense des auteurs sur le long terme : c’est une politique à laquelle à laquelle je souscris pleinement. Je sais que leur travail pour me faire connaitre au-delà de mon lectorat actuel portera ses fruits à long terme. J’ai toujours dit que je préférais grandir lentement mais sûrement, plutôt que de connaitre un succès rapide, mais éphémère…
Ce « nouveau départ » influence-t-il la manière dont vous écrivez ou développez votre cycle ?
Globalement, non. Je continue à l’écrire exactement comme je souhaitais le faire au départ. La seule chose qui évolue est ma propre compréhension de mes thématiques – parfois à la lueur de l’actualité. Je m’approfondis…
Votre écriture, souvent décrite comme lyrique, reste un marqueur fort de vos romans ou novellas. Est-ce une nécessité pour vous, un choix de résistance face au rythme du monde (éditorial) qui paraît toujours plus effréné ?
C’est, plus simplement, le résultat de mon approche de l’imaginaire. Je cherche à offrir au lecteur l’immersion la plus profonde possible dans mon univers, ses terreurs et ses merveilles à travers une écriture précise et imagée. Je m’efforce de faire ressentir la réalité des choses que je décris en jouant sur les cinq sens et sur les émotions à la fois ; cela se traduit presque obligatoirement par un certain lyrisme. Si tu écris un roman qui se déroule dans le monde réel, et que tu mets en scène une voiture qui fait une embardée, tu peux te permettre de la camper en peu de mots : cet objet et cet événement existent pour de vrai, et les lecteurs en ont déjà une idée assez nette. Tes mots n’ont pas d’autre but que d’évoquer des images déjà existantes, tu peux donc te permettre de rester assez factuel, tu te concentres sur la dynamique. En revanche, si tu décris une créature fantastique, par définition inexistante, tes mots ne vont pas seulement l’évoquer : ils vont la définir. Si tu changes la moindre virgule, si tu remplaces un verbe par un autre, tu modifies l’essence de la chose à laquelle tu donnes vie. Et pour l’évoquer, tu n’as pas d’autre choix que de faire appel à des images et des sensations réelles, qui servent de métaphore. Tu es donc vite dans la fonction poétique… mais la fantasy n’est-elle pas, par essence, une forme de poésie pour raconter le réel avec une forme de pudeur ou de douceur ?
A titre personnel, j’estime aussi que nous devons beaucoup aux bardes, scaldes et aèdes d’autrefois. Après tout, c’est de leur vieux fonds que nous nous inspirons, et ce vieux fonds est, à l’origine, rimé et chanté. Le lyrisme est donc présent aux sources de la Fantasy. A mes yeux, il lui est consubstantiel. C’est pour cela, entre autres, que j’ai choisi un barde pour narrateur, et c’est aussi pour cela que j’aime autant les lectures à voix haute : c’est aussi une façon de rendre hommage aux conteurs antiques, par lesquels tout a commencé. Et c’est vrai qu’ils savaient prendre le temps de raconter, parfois des nuits entières durant les longs hivers du nord… prendre le temps de soixante vers rien que pour décrire la marche d’une vieille femme courbée sous son fagot, comme le fait le Kalevala. J’aime ce côté contemplatif, qui fait du bien face à l’injonction de vitesse et de consommation effrénée de notre société. La contemplation rend les humains meilleurs. Elle est nécessaire à leur épanouissement. Sans elle, il est impossible de mesurer la vraie valeur des choses…
Après plusieurs années au cœur de la fantasy francophone, quel regard portez-vous sur la place du style et de la langue dans le genre aujourd’hui ?
Je dirais, en tout cas il me semble, que beaucoup d’auteurs – de plus en plus d’auteurs – entendent produire de la littérature à part entière, et le clament par la qualité de leurs textes, au-delà de l’image des « mauvais genres » ou de « para- littératures » que certains nous collent encore sur le dos. Ce travail littéraire ne concerne pas seulement le style et la langue : il porte aussi sur les thématiques, la réflexion sociale, la volonté de représentation de l’Humanité dans toute sa diversité, la justesse des portraits et des situations, l’affranchissement des codes et des clichés… et parfois, les auteurs s’amusent aussi à jouer des références, ils rendent hommage à des classiques vieux d’un siècle ou davantage, prouvant par là même la continuité du tissu littéraire...
Avez-vous vu les lectrices et lecteurs changer (ou leurs attentes) au fil des ans, dans vos échanges, vos rencontres ?
J’ai vu, en tout cas, des lecteurices passer au fil des ans d’une Fantasy d’action grand public aux rêveries de John Crowley, à l’Enfant de Poussière et à des œuvres similaires, et je retrouve aussi ces personnes dans mon lectorat actuel. Mais je ne suis pas sûr que ce soit lié à l’évolution des modes : peut-être simplement à leur parcours personnel… je fais le pari qu’au fil du temps et des lectures, aussi en prenant de l’âge, beaucoup d’amateurs du genre souhaitent progressivement se frotter à des textes aux thématiques (ou à l’approche ?) plus adultes : plus de fictions-panier et moins de voyage du héros, plus de questionnements sociaux et moins d’initiatique, moins de destinées glorieuses et davantage d’intimiste ; des mondes plus profonds ou d’habiles jeux sur l’Histoire ; un dépaysement qui repose autant sur l’environnement matériel et culturel des personnages que sur les éléments fantastiques.
Ceci dit sans déconsidérer le moins du monde la fantasy grand public, excellente pour l’accroche (et encore moins la littérature jeunesse ou le young adult, qui ont fait la preuve qu’ils pouvaient aussi explorer, innover, déconstruire, ruer dans les brancards et toucher à l’universel avec justesse). Les auteurs d’imaginaire forment une chaine, et tous les maillons de cette chaine sont importants. Nous avons tous besoin les uns des autres…
Il y a aussi une attention plus grande portée aux représentations véhiculées dans les textes – et là, c’est effectivement le fruit d’une évolution de société. C’est globalement une bonne chose, qui nous pousse à interroger le réel, à consulter les personnes concernées par une thématique, à affiner notre regard et à refuser de reproduire des clichés qui stigmatisent – bref, à rendre nos textes meilleurs. Personnellement, je trouve qu’il s’agit d’une contrainte fertile, d’un élargissement de nos possibilités littéraires bien plus que d’une restriction.
Enfin, je rencontre de plus en plus de profs de français qui lisent et enseignent des SFFF, et c’est une très belle chose : cela montre que nos genres sont, tout simplement, des courants littéraires vivants, parmi les plus inspirants du moment…
Que pouvez-vous dire à celles et ceux qui vous découvriront pour la première fois chez Au Diable ?
Installez-vous au calme, dans un bon fauteuil. Choisissez une musique qui porte à la contemplation (quelque chose de planant, qui évoque la forêt, la mer, les montagnes et les plaines). Posez le livre sur les genoux. Prenez le temps de humer le papier, de caresser la couverture (le vernis sélectif vous offrira de belles sensations). Laissez votre regard courir sur les détails de l’illustration. Jouez un moment avec l’idée de l’ouvrir, ne vous ruez pas dessus comme un ogre. Différez un peu le commencement. Et puis prenez une bonne inspiration, et lancez-vous ! En goutant les mots un à un.
Et pouvez-vous nous toucher un petit mot du prochain tome ?
Il est toujours en cours de composition, et bien avancé ! Mais, outre que le processus d’écriture en lui-même a été perturbé de bien des façons agréables et moins agréables (famille, travaux à la maison, à-côtés de l’écriture, faillite d’éditeur…), le livre lui-même est un monstre volumineux – qui, malgré tout, ne devrait pas suffire à boucler mon propos. Patience donc… patience dans l’Azur.
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.
                            
                                                            Pour accompagner son arrivée au Diable Vauvert et la ressortie des Sentiers des Astres, Stefan Platteau revient avec nous sur la fin des Moutons Électriques, sur sa vision littéraire et sur le long chemin d’écriture qui l’attend encore. Un joli moment pour parler fond et forme, lyrisme, défis du métier et promesses d’horizons futurs.
La disparition des Moutons Électriques a marqué la fin d’un chapitre pour vos lecteurs et pour beaucoup d’autrices et d’auteurs publiés par cette maison. Comment avez-vous vécu cette disparition, et la transition vers votre nouvel éditeur ?
On ne peut pas dire que ça m’a pris par surprise. Chez les Moutons, j’avais déjà connu précédemment des problèmes de trésorerie immobilisant mes droits pendant de longues périodes (ce qui peut être assez inconfortable pour un auteur ) ; et la situation durant l’année 2024, telle que je la vivais de l’intérieur, ne me laissait guère d’espoir quant à l’avenir de la maison, ce qui m’a permis d’anticiper un peu… André-François Ruaud a eu la correction de me rendre mes droits à temps, ce qui m’a évité de les voir immobilisés dans une longue procédure de sauvegarde. Au final, je subis, bien sûr, des pertes, mais j’ai pu rebondir rapidement, et au vu des difficultés des dernières années, c’est une forme de libération qui me permet d’envisager l’avenir plus sereinement. Je suis néanmoins triste pour les Moutons électriques, qui avaient une place particulière dans le paysage des SFFF, pour l’équipe éditoriale qui s’est donnée jusqu’au bout, et bien sûr, pour les autres auteurs de la maison, dont certains ont subi des préjudices bien plus grands que le mien. Avis aux éditeurs : il reste parmi eux de très belles plumes qui n’ont pas encore trouvé repreneur, et qui méritent largement qu’on s’y intéresse !
Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre Au Diable Vauvert pour poursuivre Les Sentiers des Astres ?
Je suis chanceux : j’ai eu l’embarras du choix pour le repreneur, et parmi ces choix, plusieurs propositions émanant de maisons d’édition dont j’admire le travail depuis longtemps, et dont l’équipe compte en son sein des gens que j’apprécie énormément sur le plan humain. Chacune d’entre elles aurait pu me rendre heureux ! Mais il fallait bien poser un choix. Le Diable Vauvert avait été la première à me signifier qu’elle m’ouvrirait les bras au cas où je me retrouvais sans éditeur : ils avaient une longueur d’avance. Ils me proposaient une réédition en grand format de la saga, avec une énergie et des moyens qui donnent à réfléchir – il y a quelque chose de presque frénétique dans leur façon de défendre leurs auteurs, une ardeur, une passion partagée qui ne laissent pas indifférent ! Un bel esprit d’équipe aussi, qui fait que l’on se sent porté par un collectif, et un sens de la prise de risque. Et puis, il y avait aussi une cohérence littéraire à me retrouver en compagnie de plumes telles que Patrick K. Dewdney ou Justine Niogret, avec lesquelles je partage une approche à la fois très littéraire, empreinte de réalisme et souvent sans concession de la Fantasy.
Il s’agit aussi de « relancer » la saga, avec la ressortie des premiers tomes ce mois-ci. Comment comptez-vous toucher de nouveaux lecteurs dans cette aventure éditoriale ?
Lentement mais sûrement ! Au vu de la coexistence d’une édition poche, dont les ventes annuelles restent constantes depuis dix ans, il ne faut pas s’attendre à de gros chiffres en grand format sur le court terme. Néanmoins, la nouvelle édition est absolument magnifique, grâce notamment au travail de Nicolas Fructus (qui est un lecteur de la saga et m’avait déjà glissé qu’il aimerait illustrer mon univers si l’occasion s’en présentait. Et comme j’ai toujours admiré sa patte…). Le travail de surdiffusion du Diable devrait lui permettre de s’installer dans des librairies qui ignoraient mon travail jusque-là. Le Diable Vauvert vise la présence dans le fonds des libraires et la défense des auteurs sur le long terme : c’est une politique à laquelle à laquelle je souscris pleinement. Je sais que leur travail pour me faire connaitre au-delà de mon lectorat actuel portera ses fruits à long terme. J’ai toujours dit que je préférais grandir lentement mais sûrement, plutôt que de connaitre un succès rapide, mais éphémère…
Ce « nouveau départ » influence-t-il la manière dont vous écrivez ou développez votre cycle ?
Globalement, non. Je continue à l’écrire exactement comme je souhaitais le faire au départ. La seule chose qui évolue est ma propre compréhension de mes thématiques – parfois à la lueur de l’actualité. Je m’approfondis…
Votre écriture, souvent décrite comme lyrique, reste un marqueur fort de vos romans ou novellas. Est-ce une nécessité pour vous, un choix de résistance face au rythme du monde (éditorial) qui paraît toujours plus effréné ?
C’est, plus simplement, le résultat de mon approche de l’imaginaire. Je cherche à offrir au lecteur l’immersion la plus profonde possible dans mon univers, ses terreurs et ses merveilles à travers une écriture précise et imagée. Je m’efforce de faire ressentir la réalité des choses que je décris en jouant sur les cinq sens et sur les émotions à la fois ; cela se traduit presque obligatoirement par un certain lyrisme. Si tu écris un roman qui se déroule dans le monde réel, et que tu mets en scène une voiture qui fait une embardée, tu peux te permettre de la camper en peu de mots : cet objet et cet événement existent pour de vrai, et les lecteurs en ont déjà une idée assez nette. Tes mots n’ont pas d’autre but que d’évoquer des images déjà existantes, tu peux donc te permettre de rester assez factuel, tu te concentres sur la dynamique. En revanche, si tu décris une créature fantastique, par définition inexistante, tes mots ne vont pas seulement l’évoquer : ils vont la définir. Si tu changes la moindre virgule, si tu remplaces un verbe par un autre, tu modifies l’essence de la chose à laquelle tu donnes vie. Et pour l’évoquer, tu n’as pas d’autre choix que de faire appel à des images et des sensations réelles, qui servent de métaphore. Tu es donc vite dans la fonction poétique… mais la fantasy n’est-elle pas, par essence, une forme de poésie pour raconter le réel avec une forme de pudeur ou de douceur ?
A titre personnel, j’estime aussi que nous devons beaucoup aux bardes, scaldes et aèdes d’autrefois. Après tout, c’est de leur vieux fonds que nous nous inspirons, et ce vieux fonds est, à l’origine, rimé et chanté. Le lyrisme est donc présent aux sources de la Fantasy. A mes yeux, il lui est consubstantiel. C’est pour cela, entre autres, que j’ai choisi un barde pour narrateur, et c’est aussi pour cela que j’aime autant les lectures à voix haute : c’est aussi une façon de rendre hommage aux conteurs antiques, par lesquels tout a commencé. Et c’est vrai qu’ils savaient prendre le temps de raconter, parfois des nuits entières durant les longs hivers du nord… prendre le temps de soixante vers rien que pour décrire la marche d’une vieille femme courbée sous son fagot, comme le fait le Kalevala. J’aime ce côté contemplatif, qui fait du bien face à l’injonction de vitesse et de consommation effrénée de notre société. La contemplation rend les humains meilleurs. Elle est nécessaire à leur épanouissement. Sans elle, il est impossible de mesurer la vraie valeur des choses…
Après plusieurs années au cœur de la fantasy francophone, quel regard portez-vous sur la place du style et de la langue dans le genre aujourd’hui ?
Je dirais, en tout cas il me semble, que beaucoup d’auteurs – de plus en plus d’auteurs – entendent produire de la littérature à part entière, et le clament par la qualité de leurs textes, au-delà de l’image des « mauvais genres » ou de « para- littératures » que certains nous collent encore sur le dos. Ce travail littéraire ne concerne pas seulement le style et la langue : il porte aussi sur les thématiques, la réflexion sociale, la volonté de représentation de l’Humanité dans toute sa diversité, la justesse des portraits et des situations, l’affranchissement des codes et des clichés… et parfois, les auteurs s’amusent aussi à jouer des références, ils rendent hommage à des classiques vieux d’un siècle ou davantage, prouvant par là même la continuité du tissu littéraire...
Avez-vous vu les lectrices et lecteurs changer (ou leurs attentes) au fil des ans, dans vos échanges, vos rencontres ?
J’ai vu, en tout cas, des lecteurices passer au fil des ans d’une Fantasy d’action grand public aux rêveries de John Crowley, à l’Enfant de Poussière et à des œuvres similaires, et je retrouve aussi ces personnes dans mon lectorat actuel. Mais je ne suis pas sûr que ce soit lié à l’évolution des modes : peut-être simplement à leur parcours personnel… je fais le pari qu’au fil du temps et des lectures, aussi en prenant de l’âge, beaucoup d’amateurs du genre souhaitent progressivement se frotter à des textes aux thématiques (ou à l’approche ?) plus adultes : plus de fictions-panier et moins de voyage du héros, plus de questionnements sociaux et moins d’initiatique, moins de destinées glorieuses et davantage d’intimiste ; des mondes plus profonds ou d’habiles jeux sur l’Histoire ; un dépaysement qui repose autant sur l’environnement matériel et culturel des personnages que sur les éléments fantastiques.
Ceci dit sans déconsidérer le moins du monde la fantasy grand public, excellente pour l’accroche (et encore moins la littérature jeunesse ou le young adult, qui ont fait la preuve qu’ils pouvaient aussi explorer, innover, déconstruire, ruer dans les brancards et toucher à l’universel avec justesse). Les auteurs d’imaginaire forment une chaine, et tous les maillons de cette chaine sont importants. Nous avons tous besoin les uns des autres…
Il y a aussi une attention plus grande portée aux représentations véhiculées dans les textes – et là, c’est effectivement le fruit d’une évolution de société. C’est globalement une bonne chose, qui nous pousse à interroger le réel, à consulter les personnes concernées par une thématique, à affiner notre regard et à refuser de reproduire des clichés qui stigmatisent – bref, à rendre nos textes meilleurs. Personnellement, je trouve qu’il s’agit d’une contrainte fertile, d’un élargissement de nos possibilités littéraires bien plus que d’une restriction.
Enfin, je rencontre de plus en plus de profs de français qui lisent et enseignent des SFFF, et c’est une très belle chose : cela montre que nos genres sont, tout simplement, des courants littéraires vivants, parmi les plus inspirants du moment…
Que pouvez-vous dire à celles et ceux qui vous découvriront pour la première fois chez Au Diable ?
Installez-vous au calme, dans un bon fauteuil. Choisissez une musique qui porte à la contemplation (quelque chose de planant, qui évoque la forêt, la mer, les montagnes et les plaines). Posez le livre sur les genoux. Prenez le temps de humer le papier, de caresser la couverture (le vernis sélectif vous offrira de belles sensations). Laissez votre regard courir sur les détails de l’illustration. Jouez un moment avec l’idée de l’ouvrir, ne vous ruez pas dessus comme un ogre. Différez un peu le commencement. Et puis prenez une bonne inspiration, et lancez-vous ! En goutant les mots un à un.
Et pouvez-vous nous toucher un petit mot du prochain tome ?
Il est toujours en cours de composition, et bien avancé ! Mais, outre que le processus d’écriture en lui-même a été perturbé de bien des façons agréables et moins agréables (famille, travaux à la maison, à-côtés de l’écriture, faillite d’éditeur…), le livre lui-même est un monstre volumineux – qui, malgré tout, ne devrait pas suffire à boucler mon propos. Patience donc… patience dans l’Azur.
Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.
 
    