Quand Osama a remporté le dernier World Fantasy Award en date fin 2012, on peut dire que ce fut une surprise. Y compris pour son auteur, qui le reconnaît aisément, lui qui s’est retrouvé soudain assis au milieu de certains de ses auteurs préférés lors de cette cérémonie.
Mais pourquoi un tel roman a-t-il gagné ce prix, parmi d’autres d’ailleurs ? Lavie Tidhar pointe du doigt deux raisons, avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord : ce n’est pas un roman de fantasy classique et il soulève des questions parfois dérangeantes. Prenons la première des deux raisons : il suffit de lire la quatrième de couverture du roman pour se rendre compte que l’on est très loin d’un premier tome de saga au long cours de fantasy épique avec dragons, magiciens et Seigneur du Mal. Non. L’auteur chasse clairement sur les terres d’un Dick, avec une bonne dose de fantastique. Histoires et réalités se mélangent, se confondent et se déchirent... Le tout dans une atmosphère de film noir de plus en plus oppressante.
Et pourtant, tant de choses se passent dans l’ombre et le non-dit ! À la recherche de Mike Longshott, le mystérieux auteur d’une série de romans de gare autour du personnage de Ben Laden, Joe va peu à peu perdre pied. Il reste toutefois déterminé et résolu à accomplir ce pour quoi on l’a engagé, dans une quête — le terme est adéquat — qui le conduira de Paris à New York en passant par Londres. L’auteur multiplie les rencontres et les visions de plus en plus surprenantes, pour ne pas dire absurdes au sens premier du terme. Et pourtant, tout se tient, dans un équilibre relatif, l’intrigue pouvait même compter sur quelques touches d’humour, parfois fort savoureuses (la séquence de la convention...).
Lentement, le lecteur lui aussi bascule, privé de repères. Ce n’est pas la moindre des réussites de l’auteur, qui nous entraîne dans sa toile sans jamais relâcher son étreinte. Les questions que se pose Joe se superposent bien vite aux nôtres. Comment affronter l’invisible ? Quelle place l’histoire fait-elle aux terroristes ? Où finit le cynisme et où commence la manipulation ? Au fur et à mesure que l’on avance dans les pas du détective, il faut bien avouer que l’on se demande de plus en plus souvent ce qui peut bien nous attendre au bout du chemin.
On se dit en effet qu’il s’agira d’un ouvrage bien difficile à chroniquer et il faut bien quelques jours avant de tenter de trouver quelque chose de précis à en dire. Ce n’est pas que ce roman ne le mérite pas, évidemment. Au contraire. Tout comme le personnage dont l’ombre plane de chapitre en chapitre, Osama, le livre, n’est pas un objet facile à appréhender. Mais cette histoire mérite en tout cas que l’on prenne le temps de s’attarder dessus, quitte à s’y perdre. Et on peut saluer son arrivée en France, par l’intermédiaire de Panini Books. Seul petit regret sur le plan du livre lui-même justement, deux ou trois notes de bas de pages « ratées », car se répétant. Dommage, car l’ensemble demeure fort soigné, de même que la traduction de Florence Dolisi.
Un mot pour conclure d’ailleurs sur la plume de l’auteur. Directe et dépourvue de lourdeurs inutiles, elle n’en demeure pas moins souvent évocatrice, au détour d’une phrase particulièrement bien troussée, contribuant au caractère « fragmenté » du récit à travers cette mise en scène déroutante.
Bref, au-delà de son caractère surprenant et de sa catégorisation floue — ce qui colle bien au roman après tout ! — Osama représente une lecture délicieusement étrange.
Un voyage intime à part, aux interludes saisissants.
— Gillossen