Avouons-le, il est rare sur Elbakin.net de chroniquer des romans publiés chez Grasset !
Et pourtant, dans le cas présent... le roman d'Arnaud Delalande s'y prête parfaitement. Au fil des pages qui composent ce piège, l'auteur se joue souvent du lecteur et traite en effet avant tout du pouvoir des livres, mais pas seulement. Un ouvrage fictif peut-il prendre corps et devenir réel simplement parce que des gens le croient ainsi ? C'est l'une des nombreuses questions soulevées par le roman.
Dans les pas de David Arnold Millow, le lecteur, amateur ou non de l’œuvre de HP Lovecraft, se retrouve bien vite happé par la mécanique implacable de cette enquête. Évidemment, si vous connaissez déjà Lovecraft, vous ne raterez pas certaines références qui autrement risquent de passer au-dessus de la tête du lecteur, sans pour autant lui gâcher le plaisir de la découverte.
D'autant que Lovecraft n'est pas le seul "Grand Ancien" invoqué pour l'occasion ! On retrouve d'autres noms, notamment un chapitre entier et inquiétant dédié à la figure de Stephen King. Cela dit, Delalande connaît assurément son petit Lovecraft illustré sur le bout des doigts : enquête, narration à la première personne, forces "indicibles" et autres manifestations comme surgies d'un cerveau malade altérant les frontières entre folie et réalité... Tout est là et la recette s'avère finalement toujours aussi agréable, pour peu que vous y soyez sensibles. En tout cas, elle n'est pas datée du tout.
Alors, subsistent quelques maladresses : des citations empruntées aux œuvres du Maître trop longues et trop nombreuses, quelques artifices ou touches d'humour pas forcément très réussis (On pense ainsi aux courriels prétendument échangés avec Michel Houellebecq, qui donnent même l'impression d'un faux départ)... Toutefois, on tique, sans plus. Il n'y a pas là de quoi remettre en cause le déroulement terrible de cette plongée dans une frénésie de mots, une litanie de dieux.
Le piège de Lovecraft fait partie de ce genre de romans qui se dévorent en une après-midi et dont on se dit aussitôt après lecture "C'est fou comme c'est efficace, mais n'importe qui aurait pu l'écrire." Peut-être. Encore que. Mais visiblement, personne à part Arnaud Delalande n'en avait eu l'idée plus tôt, aussi bien sur le fond que sur la forme ! Et profitons-en pour ce qu'il est, sans y chercher davantage. Car au-delà de l'apport de la mythologie lovecraftienne, cette histoire se révèle plus maligne que la moyenne.
— Gillossen