Après une adaptation des Montagnes Hallucinées des plus réussies, Gou Tanabe reprend une nouvelle fois un texte emblématique de H.P Lovecraft, à savoir Dans l’abîme du temps. Publié en 1936 dans la revue Astounding Stories (soit seulement un an avant la mort de l’auteur), Dans l’abîme du temps se veut une référence du « fantastique cosmique ». Mêlant habilement voyage dans le temps, transfert de personnalité et folie, cette nouvelle tardive fait référence à de nombreux éléments de la mythologie lovecraftienne : les livres maudits ésotériques, divers personnages et entités déjà mentionnés dans des textes antérieurs, divinités sidérales et autres. Le fait que ce texte soit l’un des derniers de Lovecraft en fait sûrement l’un des mieux maitrisés : même si pour des raisons évidentes, l’histoire se voit amputée de détails (notamment les clins d’œil à Howard) et prend quelques raccourcis, cela n’altère en rien la qualité du récit. Le trait de Gou Tanabe est toujours aussi envoûtant, et retranscrit parfaitement la folie sourde et l’ambiance onirico-horrifique du texte. On suit avec délectation la quête de Nathaniel Peaslee pour percer le secret de son amnésie. La question sous-jacente de l’intrigue, à savoir celle de sa folie, n’est jamais vraiment éclaircie.
La vision du dessinateur colle à l’ambiance, et on prend plaisir à rester quelques minutes sur une double-page pour en admirer la richesse des détails.
On retrouve ici des thèmes chers à Lovecraft, notamment l’insignifiance de l’espèce humaine. Pour preuve, les membres de la grande race de Yith, une fois leur civilisation au bord de la destruction, préfèrent transférer leur esprit dans les corps d’une race de coléoptères géants plutôt que dans celui des hommes qui ont précédé cette civilisation insectoïde. Son obsession pour les livres transparait aussi dans le rôle central joué par les archives de cette race extraterrestre.
Enfin, il convient de souligner la qualité de l’objet-livre. Pour un prix tout à fait honnête, les éditions Ki-Oon nous proposent un livre de fort belle facture, au papier épais et à la couverture agréable au toucher. Si vous n’avez jamais eu l’occasion de découvrir ce chef-d’œuvre de Lovecraft, véritable condensé des thématiques chères à l’auteur de Providence, voilà l’occasion rêvée. Il y a fort à parier que cette lecture vous interrogera sur le destin de l’homme, sa place dans l’univers, et qu’elle provoquera chez vous quelques sueurs froides…
— gilthanas