Joe Abercrombie, figure emblématique de la dark fantasy depuis 15 ans maintenant, revient avec Les Diables, premier tome d'une nouvelle trilogie. Je dois au passage avouer que l'avoir vu être présenté comme un "vétéran" alors que La Première Loi est encore si frais dans mon esprit, voilà une preuve supplémentaire du temps qui passe...
L'auteur nous plonge ici dans un univers baroque où l'humour noir et la violence se côtoient (qui a dit comme d'habitude ?), rappelant l'esprit d'un Suicide Squad transposé dans un Moyen Âge alternatif - et pas vraiment celui de Suicide Squad Isekai.
L’univers évoque ainsi une Europe fantasmée post-médiévale où l’Église, cynique et secrète, est omniprésente, où les dieux sont morts ou fous, et où les monstres sont légion. Abercrombie n'y va pas par quatre chemins : les elfes y sont des cannibales, les villes corrompues et en déclin, les saints douteux, et les miracles... suspects. Le cœur du roman repose sur une idée simple mais efficace : réunir un groupe d’individus (con)damnés, surnaturels ou simplement très dangereux, pour mener une quête qui tient autant de l’expédition suicide que du baroud d'honneur en vue d'une hypothétique rédemption.
Le casting évoque ouvertement Suicide Squad ou Les Douze Salopards pour les plus anciens, et Abercrombie s’amuse, assurément. Chaque personnage a son gimmick, son traumatisme, sa réplique au bout de la langue. On croise ainsi un vampire maniaque de l'étiquette, un louve-garou impulsive et sans filtre, un paladin invincible rongé par sa propre immortalité, ou une ancienne voleuse des rues qui n'est évidemment pas celle que l'on croit. Leurs échanges, souvent drôles, sont portés par une verve très moderne, dans un style qui n’est pas sans rappeler Les Gardiens de la Galaxie... en nettement plus sanguinolent.
Abercrombie reste donc fidèle à son talent pour les dialogues incisifs, les scènes d’action nerveuses et les descriptions mordantes. On ne s’ennuie jamais, tant le roman file à toute vitesse d’un massacre à l’autre, avec des pauses bienvenues pour développer les tensions internes du groupe.
Cependant, malgré ce plaisir de lecture, le roman souffre d’un léger problème de fond : il ne surprend pas. Déjà, parce que le côté "une bande de protagonistes louches envoyés au casse-pipe" n'a rien de bien original en 2025. Le fil rouge est lui aussi assez prévisible, les retournements de situation se devinent souvent plusieurs chapitres à l’avance (mais Abercrombie s'en soucie-t-il vraiment ? Pas forcément.), et certains personnages, bien que truculents, restent engoncés dans leurs costumes. Cela donne à l’ensemble un parfum de “déjà-lu”, en dépit de l’énergie et du soin apporté à la construction du monde, car l'auteur, pour le coup, est bel et bien un vétéran à l'expérience débordante.
Mais l’autre force - ou faiblesse, selon les goûts - du roman, c’est son ton. Abercrombie s’éloigne du cynisme amer de la trilogie de La Première Loi évoquée plus tôt pour quelque chose de plus "délirant", presque parodique. Le grotesque règne en maître, et si certains y verront une réjouissante bouffonnerie noire, d’autres pourront regretter l’absence d’une vraie tension dramatique.
Toujours est-il que, à quand la suite ?
— Gillossen