L'un des trois romans de lancement de la collection fantasy de Calmann-Lévy est précédé d'une réputation flatteuse. La mérite-t-il ? C'est ce que nous allons tenter de découvrir...
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il s'agit là d'un roman étrange. Le rythme se montre plutôt indolent, les non-dits sont nombreux, et la narration à la 1ere personne, avec moult appartés, prend tout son sens. Ici, il ne s'agit pas d'un simple changement de pronom pour donner un ton plus intime, c'est souvent un véritable journal à l'adresse du frère du héros. Une tendance qui logiquement s'atténue cependant passés les premiers chapitres.
Le héros justement, se révèle d'ailleurs assez atypique. Enfant dans un corps d'adulte, Able - car tel est son nouveau nom... - ne s'en laisse pas compter, et affiche une belle détermination. Comme si le Mythgarthr représentait le point de chute qu'il attendait, espérait, depuis toujours tout simplement, sans en avoir eu conscience. Mais son assurance, sa candeur, ne sont pas arrogance ! Il saura en effet reconnaître ses torts, ou ses doutes.
Et l'on en vient au sujet même du roman : que représente la fonction de chevalier ? Qui pour l'incarner ? A travers le prisme d'une rencontre, celle du noble messire Ravd, Able va façonner sa nouvelle destinée, peu à peu, au gré de ses absences (lorsqu'il rejoint d'autres dimensions du monde où le temps s'écoule différemment), de ses rencontres... Ce qui lui vaut d'ailleurs de se retrouver entouré d'une belle brochette de seconds rôles !
Le genre est-il pour autant révolutionné ? S'il s'avère exact que l'on dénombre la plupart des ingrédients de la fantasy épique (chevaliers, dragons, monstres, magie, etc...), ils ne sont pas pour autant complètement transformés sous un angle inédit. Il serait plus précisément question d'un ton à part. Gene Wolfe n'est pas un débutant, et cela se sent, à chaque mot. Mais il apporte une fraîcheur qui se perçoit tout autant. En cela, on pourrait effectivement le rapprocher par certains aspects d'une version plus adulte des Chroniques de Narnia, comme évoqué en 4eme de couverture.
Et quand bien même demeure-t-on quelque peu indécis sur le fond, on reviendra avec plaisir (quelle fin !) sur les rivages du monde élaboré par l'auteur, un univers à plusieurs niveaux qui ne manque d'ailleurs pas d'allusions aux classiques (Les Parques, le chevalier vert, etc...) éveillant des échos dans l'inconscient du lecteur, en attente de révélations et éclaircissements.
Le second, et dernier, tome de cet intriguant diptyque sort ce mois-ci aux Etats-Unis, et devrait paraître en mai prochain pour la VF.
— Gillossen