Après le prix 2012 pas plus tard que le mois dernier, Panini et le label Eclipse récidivent cette fois avec le prix 2011, pas moins. Et quand on songe au catalogue de l’éditeur dans les mois à venir, il s’impose facilement comme le plus original du moment, notons-le, surtout après un lancement chaotique. Mais là n’est pas la question.
Contrairement à Osama, Qui a peur de la mort ? devrait nettement moins déstabiliser les amateurs de fantasy « classique », du moins, en apparence, puisque la magie, par exemple, occupe une place importante, sans parler d'une structure globale reprenant le principe de quête.
Mais voilà, en cinquante pages à peine déjà, Nnedi Okorafor aborde des sujets rarement évoqués : viol, ostracisme, inceste, conflit ethnique, excision… On peut dire que l’auteur frappe fort, mais surtout juste. Il n’est jamais question ici de remugles nauséabonds ou même dans un autre registre de pathos larmoyant. Okorafor met en scène son histoire sans fard, sans détour, une réussite imputable en grande partie à ses personnages plus vrais que nature, incroyablement denses et humains.
S’essayant à l’exercice toujours difficile de la narration à la première personne – on a vite fait de trop entrer dans la tête du protagoniste principal et de ralentir inutilement le rythme de son histoire – Okorafor s’en sort, et plus que ça, avec talent, nous livrant le portrait d’une jeune fille abîmée par la vie mais qui ne renonce jamais devant les difficultés d’un parcours – évidemment serait-on tenté de dire – semé d’embûches : de ses origines violentes à son adolescence difficile en passant par un apprentissage censé être réservé aux garçons, Onyesonwu se bat de toutes ses forces contre le destin qui lui semble promis, pour éviter une vie toute tracée. Un destin qui bien sûr n’est peut-être pas finalement celui qu’elle imaginait…
Comme souvent avec la narration à la première personne, le risque d’écraser les personnages secondaires est présent. Mais celui-ci se révèle bien vite dissipé : les autres protagonistes de cette histoire, qu’on les rencontre tôt ou pas, sont dotés eux aussi d’une véritable épaisseur et l’émotion s’avère souvent présente, parfois au détour d’une simple réplique en apparence anodine.
En somme, l’auteur possède un indéniable talent de conteur, qui plus est d’une finesse rare. Mais Qui a peur de la mort ? se distingue également de par son univers, évidemment. Prenant place dans une Afrique post-apocalyptique pleine de zones d’ombre, l’intrigue aborde donc des sujets graves qui font encore trop souvent l’actualité de ce continent, quand on songe seulement à parler de celui-ci. Mais Nnedi Okorafor ne cède jamais à la tentation d’aborder ces questions sous l’angle de l’essai ou du témoignage indirect (alors que, après tout, c'est un article du Washington Post qui lui inspira en partie ce roman). Elle se confronte à ces sujets sans jamais perdre de vue son histoire et ses personnages. C’est toujours par leur biais à eux que l’on vit, littéralement, ces évènements, sordides ou non.
Encore une fois, on ne peut que saluer l'intelligence et la subtilité de l'auteur, qui n'excluent pas pour autant l'émotion, soulignons-le une fois de plus là aussi.
Tout cela ne pouvait guère s'envisager sans une plume à la hauteur : on évoquait le don de conteur de l'auteur et Nnedi Okorafor écrit indéniablement bien. Vivante, vibrante, puissante, cette plume sait rester au plus près de ses personnages à fleur de peau sans jamais nous égarer, grâce d'ailleurs à une fluidité de tous les instants (on peut au passage saluer le travail du traducteur, Laurent Philibert-Caillat). Difficile dès lors de trouver un quelconque défaut à pointer du doigt quand fond et forme s'allient avec une telle maestria.
Qui a peur de la mort ? se révèle dur, parfois terriblement triste ou déchirant, mais toujours, toujours brillant. Comment dès lors ne pas lui donner sa chance ?
Sans même en arriver à évoquer le prix très doux de cette édition fort soignée à la magnifique couverture conçue par Joey HiFi... n'en jetez plus !
Mise à jour octobre 2017 :
Le roman est réédité aux éditions ActuSF.
— Gillossen