Dans ses meilleurs moments, La Voie des ombres serait comme une ampoule d’adrénaline administrée en plein cœur.
Dans ses creux, le roman en arrive même à paraître un peu vain.
Quelque part entre les deux se cache le premier tome d’une trilogie, qui, précédée de premiers échos flatteurs et portée par un lancement américain original - les trois tomes en trois mois en fin d’année dernière – ne déçoit finalement pas vraiment, bien au contraire.
Le roman possède en effet le défaut de ses qualités, souvent communs aux premiers romans : l’enthousiasme et l’envie. Si le roman démarre nerveusement mais sans précipitation, évoquant souvent un Steven Brust qui aurait décidé de lever le pied sur l’humour et de le poser dans une crasse plus concrète que dans le monde de Jhereg, le rythme accélère progressivement, au moyen, notamment, d’ellipses temporelles souvent bien vues.
Et en dehors des toutes dernières pages de conclusion, le lecteur se retrouve ensuite emporté dans un véritable tourbillon d’évènements qui n’a d’égal que sa vitesse à tourner les pages pour découvrir la suite, la suite, et vite ! Difficile de ne pas considérer que l’auteur se montre plus d’une fois diablement malin. Difficile de nier qu’il ne sait pas mettre en scène des passages aussi âpres que poignants, qu’il ne sait pas mettre en valeur ses seconds rôles, tel que Logan Gyre, loin d’être agaçant malgré son aura de perfection. Ou bien qu’il n’a pas le sens de la formule, en dehors de deux ou trois comparaisons quelque peu maladroites.
Difficile aussi de ne pas apprécier ses personnages justement, y compris Azoth/Kylar, auquel on ne s’attache pas forcément immédiatement malgré les efforts de l’auteur d’ailleurs. On ne peut pas dire qu’ils fassent preuve d’une grande originalité, mais ils sont généralement croqués avec gouaille ou cynisme, chacun jouant son rôle à la note près.
Car les coups font mal dans cette ville et ce pays déliquescents, les mots sont crus, et l’amour se retrouve bien souvent étouffé ou souillé. Bien qu’ils soient obligés de savoir manier les illusions de toutes sortes, les pisse-culottes se doivent de n’en cultiver aucune. En dehors de quelques pointes d’humour souvent amenées par le biais des dialogues, le roman se montre en effet sec, tendu, et percutant.
Brent Weeks étoffe peu à peu son récit en lui ajoutant une dimension politique, là aussi, pas tellement originale en elle-même, mais savamment orchestrée. On retombe cela dit sur le défaut évoqué plus haut, l’enthousiasme qui conduit au trop plein : l’auteur multiplie les coups d’éclats, les montées de suspense, ce qui le voit parfois annuler purement et simplement un rebondissement introduit quelques pages plus tôt, et pourtant à même de sacrément secouer son intrigue ! C’est là que le roman se teinte par instants d’une certaine légèreté, qui peut également être une façon de montrer à quel point les personnages ne sont que des pantins ballottés par le destin...
Au final, un très bon moment de lecture poisseux et tranchant comme une lame, qui donne immédiatement envie de rêver d’une parution française sur son modèle VO !
— Gillossen