Le très riche catalogue 2017 des Moutons Électriques continue de se dévoiler et, ce mois-ci, c’est au tour de Cédric Ferrand d’être mis à l’honneur. Après la fantasy crépusculaire de Wastburg et le rétrofuturisme médical russe de Sovok, l’auteur franco-canadien nous propose cette fois du pulp lovecraftien montréalais au deuxième degré. Autant de sous-genres qui ne risquent pas d’être saturés de si tôt !
Et si le Diable le permet (un titre énigmatique qui trouve bien vite son explication) nous présente Sachem Blight, sorte de détective privé baroudeur dont la spécialité consiste à porter assistance aux rejetons de bonne famille que les guides de voyage Baedeker ont poussés sur les routes aux quatre coins du monde. Sa nouvelle affaire le conduit à Montréal, une ville à peine plus civilisée que la jungle de Bornéo quand on se frotte aux mauvaises personnes. Et pour ne rien arranger, le voilà promu tuteur légal d’une demi-sœur chassée de son pensionnat catholique en raison de certains arriérés de frais de scolarité.
Comme le laisse entendre la quatrième de couverture, qu’on pourrait presque retrouver sur n’importe quel roman policier « classique », cette fantasy urbaine-là met bien plus l’accent sur « urbain » que sur « fantasy ». Comme dans Wastburg, le véritable personnage principal du roman, c’est la ville. Cédric Ferrand aime Montréal, s’est approprié ses grandes artères touristiques et ses ruelles plus confidentielles, et cela se sent toutes les pages.
Les deux faces de cette mégalopole schizophrène, partagée entre Europe et Amérique, anglais et français, protestantisme et catholicisme, sont traitées avec humour et respect, sans parti pris. Pour un francophone européen, le dépaysement est encore accentué par les dialogues bourrés de québécismes délicieux (on vous met au défi de lire « icitte » et « moé » sans essayer d’y mettre l’accent).
Ce premier tome des aventures de Sachem et Oxiline se veut moins exigeant, plus grand public que ne l’étaient Wastburg et Sovok… et c’est peut-être là que réside son principal défaut. Les personnages sont attachants (même si Oxiline s’adapte avec une facilité déconcertante pour une adolescente tout juste sortie de son pensionnat catholique) et on aurait du mal à critiquer l’écriture de Cédric Ferrand ou l’histoire elle-même – et pourtant, il manque quelque chose pour que cette nouvelle série se démarque d’autres enquêtes policières à la sauce urban fantasy. La lecture est plaisante, mais sans grand relief. C’est sans doute un peu injuste, mais Et si le Diable le permet souffre de la comparaison avec les deux romans précédents de l’auteur, qui avaient mis la barre très haut.
Ceci étant dit, le roman se détache largement du tout-venant de la production actuelle et mérite tout de même qu’on s’y attarde. À voir à présent si Montréal pourra accueillir une fois de plus nos héros ou si leurs prochaines aventures les mèneront sous des latitudes encore plus dépaysantes.
— Saffron