Aurélie Wellenstein nous propose un univers d’inspiration western, alors que les colons du Vieux Continent déferlent sur les terres du Nouveau Monde, à la recherche d’or ou d’une nouvelle vie. Toutefois, on ne découvrira pas grand-chose de la partie habitée de Nacarat, l’essentiel du récit se déroulant dans les terres désertiques de Symphonie, sous la domination de la Harpiste.
Le début du roman semble presque se dérouler en accéléré, tant dans l’exposition de la situation initiale d’Abraham dans le Vieux Monde que son voyage vers Nacarat et son arrivée à Frontières. La motivation du héros tient en trois mots : sauver son frère. Pour le reste, on a parfois l’impression que l’autrice se dépêche de planter le décor, dessiné à grands traits, pour arriver à la partie qui l’intéresse, à savoir le périple sur les terres de Symphonie. De fait, la première moitié du roman n’est pas la plus palpitante, d’autant que les personnages ne sont pas particulièrement attachants, y compris Abraham, le héros. La narration bascule véritablement dans la seconde partie. On aborde alors le côté le plus sombre du récit, et l’action s’accélère notablement.
On retrouve les thématiques habituelles de l’autrice : le rapport à l’animal, le « monstre », l’humain brisé qui devient « fort ». C’est peut-être d’ailleurs un des points qui me chiffonnent ici : la mise en scène systématique des humiliations et des violences subies par les personnages (la représentation des violences sexistes et sexuelles est déjà très présente dans notre culture, les mentionner sans les montrer pourrait être une option). Ensuite, la seule voie de salut, de reconstruction qui s’offre à eux, c’est de devenir féroce, en quelque sorte, et plutôt agressif dans leurs interactions sociales. Sinon, ils se contentent de rester dans l’ombre de quelqu’un qui l’est et manifestent une volonté sacrément amoindrie. On pourra questionner ce parti pris (et son manque de nuances). On notera également que ce sont surtout les femmes qui récoltent des insultes, toujours les mêmes : pute et salope. Il serait peut-être bon d’interroger ces automatismes-là.
Pour ce qui concerne les animaux, l’autrice insiste principalement sur le cas du cheval et de son exploitation par l’homme, de fait problématique sur de nombreux aspects. Il est évident que c’est un sujet qui lui tient à cœur. Les animaux a priori magiques qui foulent les terres de Symphonie sont pour leur part assez peu mentionnés – sinon en pièces détachées, pour les greffes. On ne saura donc rien de leur présence sur ces terres.
Le personnage de la Harpiste, dont l’ombre pèse sur le récit mais qu’on croise à peine quelques fois, aurait peut-être mérité plus de développement. L’idée est en tout cas intéressante, de même que l’Opéra qu’elle dirige, même si, là encore, ç’aurait pu être étoffé. L’autrice nous livre certes les grandes lignes de la motivation derrière tout ça, mais le pourquoi de la forme que cela a pris demeure mystérieux, au même titre que l’apparence de la Harpiste ou la raison de la centralité de la musique.
Si je reste pour ma part manifestement hermétique à l’écriture d’Aurélie Wellenstein, le roman devrait plaire à ceux qui ont aimé les précédents de l’autrice et qui seront tentés par de la fantasy façon « dark western ».
— Erkekjetter