Avec Le Diable et Coral, Josep Homs, à l'œuvre en tant que dessinateur sur SHI et son Angleterre victorienne, signe seul une histoire singulière, qui marie avec justesse l’intime et le mythologique, sur fond de tragédie historique.
On avance ainsi dans le temps, pour se retrouver dans les rues de la Prague en ébullition de 1938, juste avant l’invasion nazie. Une jeune fille juive et le Diable lui-même forment un tandem improbable, mais étrangement... attachant ?
Tout repose, en apparence, sur cette rencontre : Coral, jeune fille vive et indépendante, croise le chemin d’un Diable qui n'a plus rien de flamboyant, bien qu'il demeure toujours aussi cynique et désabusé. Leur lien ne donne pas seulement son titre à l'album, il constitue le véritable moteur du récit : un jeu de manipulation mutuelle, où la plus faible n’est pas toujours celle qu’on croit.
Le récit emprunte à la fois au conte, au théâtre et à la fable religieuse, mais ne se noie jamais dans la grandiloquence. Homs n’utilise pas l'imaginaire pour fuir l’Histoire, mais au contraire pour l’interroger. La figure du Diable incarne un miroir, un révélateur des affres et des contradictions de l'âme humaine. Rien de fondamentalement original en soi, le tout se voit mis en scène de façon implacable. En croisant sa route, Coral se confronte à des choix qui la dépassent, et finit par incarner, à sa façon, une forme de résistance.
Le style graphique de l'auteur est, évidemment serait-on tenté de dire dès notre premier coup d'œil, l’un des atouts majeurs de l’album. Son trait, précis sans être figé, s’accorde parfaitement à l’atmosphère pesante du récit. Prague est représentée tel une scène de théâtre qui se referme peu à peu sur ses habitants. Les visages, en particulier celui de Coral, sont marqués par une grande expressivité, parfois plus parlante que les dialogues. Le choix des couleurs, souvent limité à des palettes sourdes (en dehors d'un passage par l'enfer), renforce la sensation d’étouffement. Et certaines planches sont à couper le souffle, aussi bien par le choix de la composition que par leur sujet à même de donner le frisson, à l'image d'une certaine planche, page 25, qui représente un défilé...
Si le rythme peut paraître un peu lent au départ, ce qui sied cela dit à l’ambiance du récit, les rebondissements se multiplient par la suite, au fur et à mesure que Coral dénoue aussi les fils de son passé : l’émotion naît du détail, des regards. Tout est maîtrisé, sans fausse note ou facilité. Et si la fin ne peut se révéler optimiste ou réellement porteuse d'espoir quand on sait ce qui attend cette ville et le continent entier, on referme ce copieux album (112 pages) avec le sentiment d'avoir lu une aventure indéniablement marquante.
Le Diable et Coral mêle avec talent l’horreur de l’Histoire et les figures du mythe. C’est une œuvre sobre, qui évite le pathos tout en restant profondément émouvante car Homs sait rester à hauteur de son héroïne débrouillarde. Une fable sombre et délicate, portée par un dessin habité et une écriture qui sonne juste.
— Gillossen