Les femmes de Final Fantasy VI

A cette époque, les JRPG, du moins ceux faits pour le marché nord américain, manquaient de la sophistication émotionnelle qu'ont les romans, y compris les plus rudimentaires. Final Fantasy VI n’est pas parfait à cet égard, mais, à l'époque, l’histoire de Hironobu Sakaguchi et de Yoshinori Kitase, conjuguée avec la traduction compétente de Ted Woolsey (même si elle a été condamnée), a ouvert sur un monde sombre, traitant de thèmes et de situations adultes, comme le génocide, les effets du colonialisme ou le suicide. En plus de tout cela, l’esthétisme steampunk était un véritable coup de pied pour un genre qui passait (et passe toujours) trop de temps à imiter les campagnes juvéniles de Donjons & Dragons. Au cœur du jeu Final Fantasy VI se trouvent deux femmes : Terra Branford et Celes Chere.

Final Fantasy VI était en avance sur le genre, et, honnêtement, sur le genre populaire de la fantasy en général, en concentrant son récit autour de deux femmes. Et pas seulement des personnages féminins qui ne seraient que des avatars sans voix pour le joueur, mais des femmes puissantes et autoritaires autour desquelles le monde est façonné. Celes est une générale de haut rang de l’empire Gestahlian, et Terra est l’arme la plus puissante de l’Empire. Ensemble, elles ont le pouvoir de remodeler le monde.

Tout au long du récit du jeu, les strates de leurs vies respectives sont décortiquées et il devient évident que, dans les mains de l’empire Gestahlian, les deux femmes, de deux origines différentes, souffrent de traitements similaires de la part de ceux avec qui elles ont grandi et avec qui elles ont vécu toute leur vie. Il s'agit de deux femmes puissantes, pour l'une magicienne innée, pour l’autre au pouvoir provenant de l’exploitation horrible de la magie Esper par Gestahl, qui sont toutes deux coincées par les circonstances et les mensonges qui les entourent. Ce thème de la captivité se retrouve parallèlement dans les deux histoires et elles trouvent chacune leur propre méthode pour vivre avec le traumatisme auquel elles doivent faire face et les conflits qu’elles doivent surmonter.

Née d’une mère humaine et d’un père Esper, Terra Brandford est à la fois un symbole du conflit entre les deux races et le pivot de la guerre de l’empereur Gestahl et du règne consécutif de Kefka. Enlevée des bras de sa mère en tant qu’enfant et dotée d’un don pour la magie que personne n’avait vu depuis la Guerre de la Magie, Terra est élevée par Gestahl pour lui servir d'arme obéissante et meurtrière.

Comme la série Final Fantasy a coutume de le faire, les joueurs sont introduits dans le jeu avec le personnage de Terra, amnésique, sa mémoire ayant été volée par la couronne d’esclave qu’elle porte sur le front. Final Fantasy VI commence avec Terra sur une mission en dehors de Narshe, une communauté minière, où, aux côtés de deux autres soldats impériaux, Biggs et Wedge, elle doit trouver Tritoch, un Esper gelé. Gestalh espère abuser du pouvoir des Espers et regagner une magie qui a été absente de ce monde pendant un millénaire. Contre sa volonté, Terra commande un assaut sur les citoyens innocents de Narshe, les écrasant et les tuant pour la seule raison qu’ils se sont dressés entre elle et l’Esper. En mettant le joueur au contrôle de Terra lorsqu’elle fait ces horribles choses, Final Fantasy VI faisait immédiatement naître chez le joueur un sentiment de révulsion et d’auto préservation. Même lorsque Terra découvre la vérité à propos d’elle-même et des horreurs qu’elle a commises, le joueur veut très tôt dans le jeu mettre de la distance entre lui et ses propres actions. Ce parallèle d’émotions a permis à Terra Branford de devenir un des personnages les plus aimés parmi les fans de Final Fantasy.

Alors que Terra perd la mémoire, un mécanisme de défense contre les blessures de son passé, Celes porte ouvertement le poids de ses actions, des cicatrices fraîches visibles aux yeux de tous. Celes doit prendre très tôt dans Final Fantasy VI la décision d’abandonner son peuple, la sécurité de son autorité et de rejoindre ses ennemis, un groupe de mercenaires appelé les Returners. Fière et rusée, Celes tire son pouvoir de sa capacité à s’adapter, à canaliser sa passion et sa croyance dans une persévérance qui symbolise les idéaux des Returners.

La force de Celes est mise à l'épreuve pendant un des moments les plus surprenants et émotionnellement nuancés de l’ère 16-bit : son suicide. A mi-chemin du jeu Final Fantasy VI, Celes doit se réfugier sur une petite île avec Cid, un autre membre de l’empire Gestahlian et l’un des seuls à montrer de la gentillesse envers les Espers. Le monde autour d’eux est mourant, le résultat des actions de Kefka quand il usurpa le pouvoir de l’empereur Gestahl, entraînant le Monde de Balance dans la ruine. Cid tombe malade et c’est à Celes (et par procuration à son joueur) de le garder en vie. Alors qu’il est possible de garder Cid en vie en le nourrissant seulement de poissons sains, sans aucune instruction (ou GameFAQs), il est presque impossible pour les joueurs de le savoir lors de sa première fois avec ce jeu. Quand Cid meurt de sa maladie, Celes, écrasée par la douleur, se jette du haut de la plus haute falaise de l’île.

Elle se réveille, miraculeusement en vie et, tel un message de Dieu, trouve un oiseau blessé, enveloppé dans un foulard un peu comme celui qui appartenait à son amant, Locke. C’est grâce à cet oiseau qu’elle retrouve sa force et la volonté de poursuivre en avant et de retrouver ses amis. Sans sa persévérance, il y n’a aucun doute sur le fait que Kefka se tiendrait sur son trône au sommet du monde, sans aucun opposant.

Pages de l'article

1. Introduction
2. Les limites créatives
3. Les femmes de Final Fantasy VI
4. Dieu de pouvoir - Un monde en ruines
5. Un immense casting
6. Un épanouissement