Dès les premières pages de ce livre, on comprend pourquoi Tim Burton a décidé de l’adapter au cinéma. Outre son univers sombre et fantastique, LE détail qui marque et qui donne un supplément visuel à cet univers étrange, ce sont les photos en noir et blanc qui parsèment les chapitres. Ce sont de véritables photos d’époque, comprenant souvent des illusions d’optique un brin grossières, mais qui dégagent une sensation dérangeante… Ce qui donne une véritable atmosphère au roman – à l’instar des illustrations du roman L’invention de Hugo Cabret, proches du story-board, qui ancraient le récit dans les premiers âges du cinéma.
La structure du récit reste par ailleurs classique : un adolescent découvre un univers « magique » qui devient rapidement en danger. Sous la forme d’un récit à la première personne, on découvre les angoisses de Jacob qui se transforment vite en questionnements. Et la rencontre avec les enfants particuliers n’est que le début de l’aventure, car très vite, Jacob découvre que leur univers figé dans le temps, qui leur offre une éternelle enfance, n’est pas si rose, et de plus est menacé. Dès lors, l'adolescent un peu "hors du temps", sans réelle passion, va comme s'éveiller devant ce mystère et ces révélations, prenant en main sa propre vie.
Beaucoup de thèmes sont abordés ad’une façon « particulière » dirons-nous, à travers les yeux d’un adolescent touché peut-être pour la première fois par des réflexions sur le rapport au passage du temps.
Il interroge l’Histoire (sont abordés en filigrane les persécutions nazies et les drames de la Seconde Guerre Mondiale), le rapport de tout un chacun à cette Histoire (les sentiments de Jacob sur la tragédie de son grand-père mais aussi la passion du conservateur de l’île, gardien tendrement fasciné par une vieille momie préhistorique), la mémoire familiale (les relations décalées entre Jacob, son père et son grand-père), et bien sûr la question du temps et de l’immortalité au travers des enfants particuliers, voués à vivre sans fin le même jour, éternel présent insouciant mais sans possibilité de grandir et de vivre une vraie vie.
Il ne faut pas craindre cependant l’indigestion, car tous ces thèmes sont admirablement liés aux découvertes de Jacob au fur et à mesure de son enquête. Le style va à l’essentiel tout en parvenant à faire entrer le lecteur dans la tête de Jacob, perdu, hésitant puis fasciné et devenant plus actif dans ses réflexions, puis dans ses agissements. On regrettera peut-être le début d’une histoire d’amour assez prévisible, mais heureusement les rapports houleux de Jacob et de la demoiselle en question ne tombent pas dans la facilité.
Pour conclure, voici un excellent ouvrage estampillé Jeunesse, qui maîtrise parfaitement sa narration et se permet d’offrir de nombreuses pistes de réflexion, en plus d’une fin ouverte qui appelle à découvrir la suite sans tarder. Il a bien mérité le Grand Prix de l’Imaginaire 2015 du roman jeunesse étranger (couplé au tome 2, peut-être encore meilleur) !
— Alana